Alors
qu'en ce début de XXIe siècle nous craignons le réchauffement ou
le changement climatique, à la fin du XIXe siècle et au début du
XXe siècle, l'hypothèse d'un refroidissement général du système
solaire du fait d'un soleil qui « s'éteint » était
souvent évoquée. C'est le cas par exemple dans L'Amour dans Cinq mille ans de Fernand Folkney.
LES
DERNIERS
JOURS
DE
LA
TERRE
Vous
rappelez-vous
cette
belle
légende
arabe
du
voyageur
éternel,
qui,
tous
les
mille
ans,
repasse
par
le
même
chemin
?
«
Visitant
un
jour
une
ville
très-ancienne
et
prodigieusement
peuplée,
raconte
Kidz,
le
personnage
fantastique,
je
demandai
à
l'un
de
ses
habitants
depuis
combien
de
temps
elle
était
fondée.
—
C'est
vraiment,
me
répondit-il,
une
cité
puissante,
mais nous
ne
savons
depuis
quand
elle
existe,
et
nos
ancêtres
à ce
sujet
étaient
aussi
ignorants
que
nous.
»
Dix
siècles
après,
je
revins
aux
mêmes
lieux
et
ne
pus
apercevoir aucun
vestige
de
la
ville.
Un
paysan
cueillait
des
herbes sur
son
emplacement.
Je
lui
demandai
depuis
combien
de
temps
elle
avait
été
détruite.
—
En
vérité,
dit-il,
voilà
une
étrange
question.
Ce
terrain
n'a
jamais
été
autre
chose
que
ce
qu'il
est
à
présent.
»
A
mon
retour,
mille
ans
plus
tard,
je
trouvai
ce
même
endroit occupé
par
la
mer.
Sur
le
rivage se
tenait
un
groupe
de pêcheurs
à
qui
je
demandai
depuis
quand
la
terre
avait
été
couverte
par
les
eaux.
—
Est-ce
là,
me
dirent-ils,
une
question
à
faire
par
un
homme tel
que
vous
?
Ce
lieu
a
toujours
été
ce
qu'il
est
aujourd'hui.
»
Au
bout
de
mille
autres
années,
j'y
retournai
encore
et
la
mer
avait
disparu.
Je
m'informai
auprès
d'un
pâtre
qui
gardait
ses
troupeaux
sur
les
flancs
d'une
haute
montagne,
et
il
me
fit
la
même
réponse
que
j'avais
eue
précédemment.
»
Enfin,
après
un
égal
laps
de
temps,
je
retournai
une
dernière
fois
dans
ces
parages.
Une
cité
florissante,
plus
peuplée,
et plus
riche
en
monuments
que
celle
que
j'avais
déjà
visitée,
s'étendait
à
perte
de
vue.
Lorsque
je
voulus
me
renseigner
sur son
origine,
les
habitants
me
répondirent
:
_
La
date
de
sa
fondation
se
perd
dans
l'antiquité,
nous
ignorons depuis
quand
elle
existe,
et
nos
pères
n'en
savaient
pas plus
que
nous.
»
Et
après
mille
ans encore,
ajoute
Kidz,
je
repasserai
par
le même
chemin...
»
Là
s'arrête
le
conteur
du
treizième
siècle.
Sans
doute,il
ne prévoyait
pas
la
crise
finale
où
la
nature
et
l'humanité
s'immobiliseront dans
la
mort.
Au
bout
de
ces
transformations,
de
ce
perpétuel
recommencement
des
choses,
il
ne
pressentait
pas
l'extinction
totale
de
la
lumière
et
de
la
vie.
Telle
quelle est,
pourtant,
cette
allégorie
est
saisissante.
Elle
nous
démontre
notre
petitesse
;
elle
définit
à
merveille
l'illusion
qui nous
fait
envisager
comme
immuable
le
monde
au
milieu
duquel
nous
vivons,
et
nous
apprend
que
l'histoire
tout
entière
de
l'humanité
ne
compte
pas
plus
dans
l'infini
que
celle
du misérable
insecte
qu'un
jour
d'été
voit
naître,
aimer,
se
reproduire
et
mourir.
Plus
heureux
que
Kidz,
je
peux
terminer
ce
grand
voyage
à travers
les
ans.
Lui
se
bornait
à
noter
les
changements
réalisés
sur
un
point
du
globe
;
je
vais
les
embrasser
dans
leur
ensemble,
et
d'un
seul
coup.
Sans
effort
prophétique,
sans
invocations
de
cabale
ni
de
magie,
je
veux,
lecteurs,
vous
faire
assister aux
convulsions
suprêmes
de
notre
Terre,
et
décrire
en quelque
sorte
de visu,
l'effrayante
minute
qui
marquera
son anéantissement.
— De
même,
grâce
à
la
science,
l'astronome
détermine
le
moment
précis
où
deux
astres
se
rencontreront,
l'heure
et
la
seconde,
où,
dans
cent
ans,
telle
éclipse
de
lune
ou
de
soleil
épouvantera
les
campagnes.
...Notre
planète
est
donc
refroidie.
La
chaleur
centrale,
faible
et
tiède
déjà,
ne
parvient
plus
à la
surface de
l'écorce
graduellement
épaissie.
D'incessantes
infiltrations ont
appauvri
les
mers.
L'eau
se
retire,
devant
la
rive ;
les
fonds
océaniens
s'élèvent
;
les
îles
se
rattachent
aux
continents ;
les
méditerranées
disparaissent.
Chassés
des
régions
septentrionales
par
le
lent
accroissement
des
glaces
polaires,
les
peuples
émigrent
vers
le
Sud,
où jusqu'aux
derniers
jours,
vont
se
manifester
les
prodiges
d'une
civilisation
agonisante.
Déjà
la
Russie,
le
Nord-Amérique,
le
Japon,
le
Thibet,l'Europe
et
la
France
— d'une
part
— n'existent
plus
qu'à
l'état de
souvenir,
dans
les
vieilles
chroniques,
péniblement
déchiffrées
par
un
Champollion
de
ces
temps-là.
D'autre
part
le Sud-Amérique,
la
Nouvelle-Hollande
et
quelques
autres
terres
australes,
envahies
par
les
glaces,
sont
mortes
pour
l'homme. L'Equateur
seul
est
habitable.
L'Afrique
centrale,
les
Indes,
les
contrées
voisines
du
grand
canal
interocéanique
se couvrent
de
villes
prodigieusement
peuplées
et
les
races
aborigènes,
mêlées
aux
débris
des
familles
que
le
froid
du
Nord a
poussées
jusque-là,
se
confondent
avec
celles-ci
dans
une
race
unique
et
nouvelle,
dont
nul
anthropologiste
actuel
ne saurait
déterminer
l'angle
facial.
Alors
se
produisent
d'étranges
découvertes,
des
inventions
inouïes, auprès
desquelles
les
nôtres
ne
sont
que
de
grossières
ébauches. Placé
dans
un
monde
tout
neuf,
qui
amasse
pour
! lui
depuis
des
milliers
de
siècles
d'inestimables
trésors,
l'homme civilisé
du
Sahara,
du
Nil
bleu,
du
fleuve
des
Amazones
et
des
pampas
ouvre
enfin
ses
yeux
étonnés
sur
les
merveilles qui
l'environnent
;
il
frappe
le
sol,
et
des
miracles
se réalisent.
Une
chimie,
une
mécanique,
une
dynamique
nouvelles,
sortent
tout
armées
de
son
cerveau.
L'air,
la
terre
et
ses entrailles,
la,
mer
avec
ses
continents
nouveaux,
tous
les
éléments deviennent,
entre
les
mains
de
cet
homme
perfectionné,
des
instruments
dociles,
qu'il
dompte,
assouplit
et
transforme au
gré
de
sa
fantaisie.
Et
pendant
ce
temps-là,
le
Soleil,
coeur
du
monde,
astre
pondérateur des
mouvements
de
notre
système,
va
pâlissant
et se
refroidissant
par
degrés...
Ecoutons
ici
M.
Faye,
l'éminent
astronome
:
«
Ce
coeur
refroidi,
c'est
la
mort.
Quand
le
flambeau
se
sera éteint,
la
vie
animale
et
végétale,
qui
auront
depuis
longtemps commencé
à.
se
resserrer
vers
l'Equateur,
disparaîtront
entièrement
de
notre
globe.
»
Réduit
aux
faibles
radiations
stellaires,
il
sera
envahi
par le
froid
et
les
ténèbres
de
l'espace
;
les
mouvements
continuels
de
l'atmosphère
feront
place
à
un
calme
complet
;
les
derniers
nuages
auront
répandu
sur
la
terre
les
dernières
pluies ;
les
ruisseaux,
les
rivières
et
les
fleuves
cesseront
de
ramener
à
la
mer
les
eaux
que
la
radiation
solaire
leur
enlevait
nécessairement.
La
mer
elle-même,entièrement
gelée,
cessera
d'obéir
aux
fluctuations
des
marées.
La
terre
n'aura
plus d'autre
lumière
propre
que
celle
des
étoiles
filantes,
qui
continueront
à
pénétrer
dans
l'atmosphère
et
à
s'y
enflammer.
Peut-être les
alternatives
qu'on
observe
dans
les
étoiles
au
commencement
de
leur
phase
d'extinction
se
produiront-elles
dans
le
soleil;
peut-être
le
développement
de
chaleur,
dû
à
quelque
cataclysme
de
la
masse
solaire,
rendra-t-il
un
instant à
cet
astre
sa
splendeur
primitive,
mais
il
ne
tardera
pas
à
s'affaiblir
et
à
s'éteindre
une
dernière
fois,
comme les
étoiles fameuses
du
Cygne,
du
Serpentaire
et
de
la
Couronne
.
»
Quant
au
reste
de
notre
petit
monde,
planètes
et
comètes
partageront
le
sort
de
la
Terre,
tout
en
continuant
à
circuler
suivant
les
mêmes
lois
autour
du
Soleil
éteint
!
»
Mais
avant
cette
effroyable
fin
qu'arriver
a-
t-il?
Quelles
seront,
au
milieu
de
cette
décrépitude
universelle, les
destinées
de
la grande
famille
humaine
?
*.
Imaginons
la
dernière
année
de
la
terre
expirante.
Les
deux
calottes
glacées
des
pôles
s'avancent
peu
à
peu
l'une vers
l'autre.
A
l'Equateur,
un
cercle
de
terres
encore
habitées et
de
mers
encore
libres
entoure
le
globe,
dont
les
dix-neuf
vingtièmes,
sont
morts
déjà.
Là,
dans
cette
étroite
couronne, la
vie
semble
concentrée
comme
les
derniers
rayons
d'une
lampe
près
de
s'éteindre.
Les
hommes
et
les
langages
sont
confondus.
Les
grandes
espèces
animales,
chassées
elles
aussi
par
le
froid, se
mêlent
aux
survivants
de
notre
race.
Une
promiscuité
touchante
unit
toutes
les
créatures
;
un
seul
sentiment
subsiste
:
la
fièvre
de
la
conservation.
On
voit
des
grappes
d'êtres tordus,
enlaces
pour
chercher
dans
les
flancs
l'un
de
l'autre
un
vestige
de
chaleur.
Les
serpents
n'ont
plus
de
venin
;
les
lions
et
les
tigres,
plus
de
griffes
redoutées.
Les
fauves
fraternisent
avec
nous.
Tout
veut
vivre
et
vivre
encore,
vivre
jusqu'au
dernier
jour
!
«
Enfin,
ce
jour
viendra.
Les
rayons
d'un
pâle
soleil
éclaireront
un
lugubre
spectacle
:
les
cadavres
glacés
de
la
dernière
famille
humaine
morte
de
froid
et
d'asphyxie
sur
le
rivage
de
la
dernière
mer
desséchée
!...
»
«
Après
cette
mort
terrible,
apparaîtra
l'aurore
d'une
humanité
nouvelle.
Lorsque
la
vie
aura
disparu
de
la
surface
des planètes,
cette
même
cause
qui
l'aura
rendue
impossible
sur
ces
astres
glacés
la
rendra
possible
sur
le
soleil
refroidi.
«
Alors,
il
passera
par
les
diverses
phases
géologiques
que
les autres
corps
de
notre
système
ont
traversées.
Une
création
organique
viendra
animer
sa
surface
et
sa
planète nouvelle,
il
emportera
lui
aussi
une
humanité
autour
de
ce
cercle
inconnu d'attraction
qui
l'entraîne
présentement
vers
la
constellation
d'Hercule.
Ce
lointain
soleil
s'éteindra à
son
tour
!..»
Chaîne
mystérieuse
et
infinie
!
L.
de Beaumont, « Les derniers jours de la Terre »,
in Les Soirées
littéraires,
n°2, 9 novembre 1879
A lire :
Sur l'Autre face du monde : Une expédition polaire aux ruines de Paris
ArchéoSF, Le Microdor de L. de Beaumont.
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