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ISSN 2496-9346

mercredi 3 décembre 2014

Discours de Jean Vignaud pour les obsèques de JH Rosny aîné (1940)

Le Temps, quotidien fondé en 1861 et disparu en 1942, propose dans son édition du 20 février 1940 une relation des obsèques de JH Rosny aîné. Jean Vignaud, président de la Société des gens de lettres, prononce à cette occasion un discours dont des extraits sont repris. Pour l'anecdote, rappelons que Jean Vignaud fut retenu pour le premier prix Goncourt décerné en 1903. Il obtint 1 voix pour Les Amis du peuple contre 3 voix se portant sur Ville Lumière de Camille Mauclair et 6 voix pour le lauréat John-Antoine Nau et son roman de science-fiction Force Ennemie (1).

Obsèques de M, J.-H. Rosny aîné
président de l'académie Goncourt

Ce matin, à 10 h. 15, ont eu lieu les obsèques de M. J.-H. Rosny aîné, président de l'académie Goncourt, président honoraire de la Société des gens de lettres. De nombreux amis appartenant au monde de la littérature et des arts s'étaient réunis à la maison mortuaire.
Des discours ont été prononcés, notamment par le professeur Jean Perrin, de l'Académie des sciences, ancien sous-secrétaire d'Etat à la recherche, scientifique, parlant au nom de M. Yvon Delbos, ministre de l'éducation nationale, par M. Léo Larguier, au nom de l'académie Goncourt, et par M. Jean Vignaud, président de la Société des gens de lettres.

Discours de M. Jean Vignaud

M. Jean Vignaud a retracé en termes émus la longue et brillante carrière de son maître et ami, auquel il a apporté le tribut d'admiration et de reconnaissance de tous les écrivains de France. Après avoir dit quelle impression de nouveauté et de force avait produite 1 apparition de son premier roman Nell Horn, et passé en revue ses romans préhistoriques tels que Vamireh, la Guerre du feu, et ses autres romans de mœurs révolutionnaires : le Bilatéral, les Amours rouges, la Charpente et l'Impérieuse bonté, M. Jean Vignaud a dit en ces termes quels étaient les dons magnifiques de l'illustre écrivain, et quel fut le retentissement de son oeuvre :
De cette oeuvre énorme à laquelle collabora pendant plusieurs années Rosny jeune, que nous associons aujourd'hui dans notre admiration et notre chagrin, on ne peut, faute de temps, que souligner la grandeur et le rayonnement. Hors de nos frontières, certains écrivains, comme Wells, devenus justement célèbres, se sont inspirés. de ce merveilleux sçientifique dont Rosny aîné a été le créateur. « Il possède, a dit de lui le grand savant Jean Perrin, une connaissance vaste et précise des lois de la nature. Mathématiques, astronomie, physique, géologie, biologie lui sont également familières. En science comme en littérature, Rosny, a les dons d'un créateur génial. « Après la lecture de bon beau travail: le Pluraliste, Jean Perrin a dit combien il regrettait que Rosny n'ait pu trouver le temps nécessaire à l'expérimentalisme. Observation pénétrante, rigueur logique, imagination prodigieuse, sens profond de la beauté propre aux sciences « ce sont plus qu'il n'en fallait, dit-il, pour en faire un des premiers physiciens de tous les temps ». Enfin, l'imagination du romancier est si puissante qu'elle donne à ses productions la réalité des choses vues.
Chacun de ses personnages, - a dit plus loin M. Jean Vignaud - se demande avec désespoir au nom de quelle fatalité la vie est toujours souillée par les ténèbres du meurtre. Depuis vingt-cinq ans, les hommes de notre temps tiennent le même propos. Et quand Rosny aîné parle de ces ferromagnetaux, de ces êtres de fer vivant qui cherchent à précipiter la mort de l'humanité, il semble qu'il ait prévu la barbarie germanique, qui par ses déportations de peuples, par le rétablissement de l'esclavage, par sa haine de tous les cultes, voudrait ramener une partie de l'Europe aux jours les plus obscurs de la préhistoire, et faire peser sur ses populations je ne sais quelles vieilles terreurs primitives. Mais le .visionnaire aura raison jusqu'au bout, car il nous montre dans tous ses romans l'esprit d'union et d'amour triomphant de la-férocité et de l'infamie.
Dans les fresques révolutionnaires brossées par J.-H. Rosny aîné, ses personnages les plus audacieux défendent éloquemment l'idée de patrie. Il fut aussi un ardent féministe.
Si la foule n'a pas entendu ses prophéties, ses cris d'alarme ou ses appels désespérés, a dit en terminant M. Jean Vignaud, c'est parce que, semblable aux grands oiseaux du large, il est demeuré au-dessus d'elle, trop haut dans l'espace. Il n'a jamais, par des complaisances, par des compromissions, par des soumissions, recherché ses suffrages. Il a demandé à son art seul des forces secrètes et des points d'appui. C'est pourquoi Rosny aîné représente pour nous, ses admirateurs et ses amis, l'homme de lettres fier, pauvre, indépendant, l'artiste à l'état pur, l'honneur et la dignité de notre profession.


In Le Temps, n° 28647, 20 février 1940

Jean Vignaud prononça en 1936 un discours en l'honneur de JH Rosny aîné que l'on peut lire sur le blog JH Rosny.

(1) Force ennemie de John-Antoine Nau est disponible aux éditions Publie.net dans la collection ArchéoSF.

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