Voici un autre texte qui aurait pu figurer dans l'anthologie Les Ruines de Paris car il s'agit d'archéologie future avec comme objet le piano.
DANS MILLE ANS
(Traduit des
procès-verbaux de L'Académie des Sciences inutiles,
année 2093, folio 69. Rapport sur un instrument trouvé
dans les fouilles de Paris).
L'instrument bizarre
que nous présentons aujourd'hui fut primitivement destiné à
accompagner les danses religieuses, ainsi que le démontrent les
cordes et les marteaux qui garnissent l'intérieur de la caisse. On
le nommait piano, terme tiré d'une autre langue morte et dont
il est à supposer que la signification est « Retentissant » Les
bruits qu'il émet sont baroques et désagréables. Du reste, la
destination du piano semble avoir été modifiée ; on l'employa
communément, en guise de meuble, à ranger les vêtements, et,
surtout le cache-jambes appelé « Pantalon » (parce que ses pans
traînaient sur les talons), trop long pour être placé en d'autres
commodes. Certains servaient aussi de caves à liqueurs ; dans le
piano que nous présentons, nous avons trouvé six bouteilles de
Champagne en parfait état de conservation.
L'usage du piano se
généralisa. Vers le quatorzième siècle (d'autres disent le
quinzième) il servait d'instrument de torture domestique; les jeunes
filles insoumises étaient condamnées par leurs parents, suivant la
gravité de la faute, à 6, 8 et même 10 heures de trituration
pianistique par journée.
Sous un dictateur du
nom de Carnot — qui n'a pas laissé d'autre trace dans l'histoire —
il fut reconnu que l'abus de cet instrument dangereux avait
notablement déprimé la race, et qu'il était temps de réagir. Des
lois somptuaires furent édictées contre ceux qui se servaient du
piano autrement que comme buffet, ou garde-malade. De même que pour
les chiens, il y eut les pianos de garde et les pianos de luxe, taxés
suivant qu'ils étaient à queue ou acaules.
Le piano que nous
offrons à l'Académie appartenait à un nommé Ernest Reyer qui y
fourrait les Critiques de cette époque sauvage quand ils avaient dit
du mal de ses œuvres.
Willy, « Dans
mille ans », in Mascarille, 1893
A lire:
Anthologie: Les Ruines de Paris, collection ArchéoSF, versions numérique et papier disponibles.
Anthologie Le Passé à vapeur, (contenant un texte de Willy) collection ArchéoSF, versions numérique et papier disponibles
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