En souvenir de Jules Verne est une suite symphonique du compositeur Alexandre Spengler (1913-1996). Quand on tombe sur une référence que l'on ne connait pas on essaie de trouver des informations et le moins qu'on puisse dire c'est que celles concernant Alexandre Spengler et ses rapports avec l'anticipation (au sens large) sont aussi parcellaires qu'intrigantes.
C'est un article paru le 10 mars 1943 dans Le Matin qui m'a mis sur la piste d'Alexandre Spengler:
Jules
Verne en musique
par un jeune compositeur
Salle
Pleyel,
un orchestre de 115 musiciens répète, L'immense nef s'emplit
de
sonorités étranges. Je me sens emporté dans des régions musicales
inconnues.
-
Vision
antique...
me souffle quelqu'un à l'oreille.
Ce
sont des millénaires révolus qui s'évoquent ainsi moi. Et,
soudain, la Vision
prend fin.
L'auteur
de cette fresque symphonique est près de moi. Grand garçon blond.
Français d'origine slave, Alexandre Spengler, que, samedi prochain,
on va révéler l'attention du monde de la musique, n'a que 29 ans.
Le
calvaire d'un artiste
S'il
réussit jamais - et pourquoi ne réussirait-il pas ? - à
imposer un idéal nouveau. Spengler pourra dire qu'il ne l'aura dû
qu'à son talent et à son énergie jamais lassée. C'est le cas de
répéter que le génie, c'est la patience. Sa vie, Spengler me l'a
lui-même contée. C'est le plus angoissant des films.
-
Ma
mère se trouva seule pour m'élever
m'a-t-il dit. Combien
péniblement il lui fallut travailler !... A 20 ans, je
me mariai. Des années durant, ma femme
et moi
nous menâmes
une existence de privations et de luttes sans
nom. Nous vivions dans une mansarde. Ma femme écrivait des contes de
fées et donnait des leçons de langues vivantes Quant à
moi,
je fus, tour d tour copiste, commis, laveur de voitures... Entre
temps j'échafaudais des projets musicaux si démesurés que je
n'arrivais pas toujours
à les mener à
bien.
-
Votre
premier succès ?
-
Il
date de 1936. C'est alors
qu'eut lieu la première audition de mon Ouverture.
Mais je n'en restai pas moins aux
prises
avec les pires difficultés matérielles... 1940 vit la naissance de
mon premier enfant j'étais épuisé, mais heureux. Vous dire au
milieu de quel dénuement J'ai orchestré mon Hommage à Jules
Verne !…
-
Quoi !
Jules Verne ?
-
Oui,
quatre évocations :
Voyage au centre de la terre, A la recherche du capitaine Grant,
Hatteras au pôle Nord et
le Nautilus...
J'ai toujours été attiré par le fantastique, voire
même
par le supra-terrestre. Je suis féru d'astronomie. J'ai écrit des
romans où
il est question de voyages interplanétaires, de mondes habités
Une
personnalité singulièrement originale,
on voit, et attachant qu'Alexandre Spengler.
E.-F.
XAU., in
Le Matin, 10 mars 1943
Alexandre Spengler affirme qu'il a écrit des romans où il est question de voyages interplanétaires, de mondes habités. Le catalogue de la BNF ne connait aucune de ses oeuvres de fiction. Pourtant, quand Spengler est admis à la Société astronomique de France (séance du 4 avril 1943 soit moins d'un mois après l'interview et ce qui confirme son intérêt pour l'astronomie) il est bien annoncé comme compositeur de musique et romancier:
En revanche le catalogue de la BNF mentionne En souvenir de Jules Verne (voir la notice) dans l'édition de 2014 sans indiquer la date de première exécution. Grâce au journal Le Matin on peut préciser que la suite musicale a été jouée pour la première fois le samedi 13 mars 1943.
Les éditions Henry Lemoine ont édité En souvenir de Jules Verne avec cette présentation:
Les quatre mouvements de cette suite ne sont pas des "illustrations", musicales descriptives. Ce sont des évocations d'ambiances, traduisant l'esprit et l'atmosphère des quatre ouvrages en question du romancier. C'est même pour cette raison que certains titres ont été modifiés, pour mieux répondre au caractère général desdits ouvrages.
I - Voyage au Centre de la Terre est
Une évocation de monde minéral et de la formidable pesanteur des inébranlables assises de l'écorce terrestre. En outre, l'idée d'une descente progressive des héros du livre à travers les anfractuosités ténebreuses de l'épaisseur granitique y est également évoquée.
II - Le Nautilus et son Capitaine Nemo
(Mobilis in mobile) évoque le fabuleux sous-marin le Nautilus se glissant, mobile, rapide, puissant et insaisissable, à travers les couches liquides de l'Océan, - et l'âme indépendante, hardie et investigatrice de son animateur, le légendaire Capitaine Nemo.
III - A la Recherche du Capitaine Grant
Traduit l'idée-fixe d'une incessante et obstinée recherche pleine de tension angoissée, orientée toujours vers un même but, vers une même esperance, - recherche sans cesse interompue par le même obstacle : la fausse piste. Aprês un ultime et âpre effort pour aboutir, la recherche se termine dans un esprit tranquille et apaisé, - le Capitaine Grant ayant été retrouvé par hasard sur l'île Tabor. IV - Hatteras au Pôle Nord
Traduit l'ambiance morne et immaculée des paysages polaires au milieu desquels vogue le navire du Capitaine Hatteras, et l'étrange et navrant drame qui se joue dans l'âme du héros qui, fasciné toute sa vie par l'obsession d'atteindre le Pôle Nord, sombre définitivement dans la démence lorsqu'il l'a atteint. Désormais, - tel une aiguille aimantée, - tout son être ne sera plus attaché qu'à un point de l'espace, un point immuable, géometrique, toujours le même, à l'exclusion de toute autre réalité... Le point qui indique le Nord (fin du morceau : un son mince, persistant, irrémédiablement isolé dans le lointain inaccessible où il se perd, - note longuement tenue par un hautbois tout seul qui finit par s'éteindre).
Contenu Voyage au centre de la terre (2'10) - Le Nautilus et son Capitaine Nemo (2'25) - A la recherche du Capitaine Grant (3') - Hatteras au pôle nord (2')
Source de l'article du Matin : Gallica
La semaine prochaine nous reviendrons sur la réception critique de la première exécution publique de cette suite musicale.
L'écrivain américain Paul Auster évoque la figure d'Alexandre Spengler (nommé simplement S.) dans Le livre de la mémoire, deuxième partie de L'invention de la solitude (1982.
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