Jean Galotti (qui a publié dans les numéros précédents une "guerre future") propose dans le n° 26 (12 septembre 1928) un article de prospective concernant le voyage dans l'espace. Il comporte plusieurs illustrations tout à fait science-fictionnelles.
Tourisme
interastral ou le voyage de demain
L'Homme
n'est pas plutôt arrivé quelque part qu'il désire aller ailleurs.
Rien de plus conforme à sa nature. Gassendi prétendait même qu
seul ce tracassin lui a fait croire à l'infini ; à quoi
Descartes répondait que, précisément, il porte ainsi en lui la
preuve que l'infini existe.
De
fait, à peine nos pères eurent-ils achevé d'explorer la sphère
terrestre qu'ils se mirent en tête de la quitter. Ils inventèrent
les ballons qui leur permettaient de s'élever au-dessus de leurs
contemporains en agitant un chapeau et qui les déposaient, ivres
d'orgueil et d'émotions, sur quelque cheminée ou dans les branches
de quelque chêne.
Aujourd'hui,
nous avons l'avion. Demain, ce sera l'auto-fusée.
On
connaît cette nouvelle machine : basée sur le principe du
recul des fusils, c'est, en somme, une batterie de petites pièces à
feu disposée sur roues. Quand on tire, l'appareil recule. Il s'agit
de tirer sans cesse, de manière à accélérer cette retraite
d'écrevisse. Les derniers essais effectués ont permis d'obtenir
ainsi une course de 400 kilomètres à l'heure, réalisée, il faut
le dire, durant seulement quelques secondes, au bout desquelles tout
a sauté, y compris l'unique passager, qui était un chat.
Ce
chat serait aujourd'hui bien empêché de nous faire part de ses
impressions. Mais il est fort probable qu'elles seraient défavorables
à notre façon moderne de comprendre l'application des sciences ;
Il nous dirait peut-être que la plupart du temps nous nous croyons à
tort des inventeurs alors que nous ne faisons qu'appliquer des
découvertes que les anciens avaient faites avant nous, mais dont ils
n'usaient que pour se divertir. Les Chinois fabriquaient la poudre
pour faire des feux d'artifice. Le Grec Héron d'Alexandrie,
connaissant le principe du mouvement par réaction, imagina
l'éolipyle, une boule creuse
pleine d'eau qui, lorsqu'on la chauffe, dégage de la vapeur et se
met à tourner. C'étaient là des jouets sans danger. Nous ne nous
en contentons plus. Il serait d'ailleurs inexact de dire que, seul,
le désir de nous tuer ou de tuer nos contemporains stimule notre
ingéniosité. Ce qui nous préoccupe, c'est avant tout d'aller plus
vite, en même temps que d'aller plus loin.
La
propulsion directe par explosions permet, nous venons de le voir,
d'obtenir des vitesses que l'on pu encore atteindre avec les moteurs
à essence. Mais c'est là son moindre avantage. Ce qui en fait une
méthode inappréciable c'est que, seule, elle autorise l'espoir de
quitter la Terre un beau jour, pour aller visiter les astres. Espoir
lointain, de toutes façons, mais qui, désormais, a peut-être cessé
d'être absurde. Le ballon et l'avion sont de pesants engins qui ont
besoin, pour s'élever, du soutien de l'atmosphère, autant que le
poisson a besoin de l'eau pour nager. Seule, l'auto-fusée peut
progresser dans le vide.
Sans
doute, il y a aussi l'obus imaginaire
qui, pour peu qu'il s'élance à plus de onze mille mètres à la
seconde, vaincrait la pesanteur et disparaîtrait définitivement.
Mais ce serait en dépit des capitons prévus à l'intérieur par la
sollicitude de cet excellent Jules Verne, un véhicule inconfortable,
où les Terriens, peu entraînés aux chocs, seraient mis en œufs
sur le plat, dès le départ.
Donc
on cherche déjà un système plus pratique. Et voici ce qu'à ce
sujet nous dit notre savant confrère E.H. Weiss :
–
Un
aviateur, doublé d'un savant astronome, Max Vallier, étudie depuis
plusieurs années le problème du véhicle fusée, calculé
d'ailleurs en France d'une façon si brillante par Esnault-Pelterie.
Max Vallier a conçu une coque d'avion étanche, où pilote et
passagers vivent dans une atmosphère artificielle. A l'extrémité
de chaque aile, une sorte de gros cigare contient des explosifs et
les gaz produits se dégagent par les tubes, à l'arrière, pour que
la réaction agisse comme dans la voiture expérimentée. Le calcul
montre que la vitesse réalisée est énorme dès le début, l'avion
monte presque verticalement. Ni moteur, ni passagers ne sont
tributaires de la raréfaction de l'air et nous arrivons à 100
kilomètres de hauteur, après une demi-heure de route.
« Il
règne en ces régions un froid intense, un vide comme sous la cloche
d'une machine pneumatique, mais la coque étanche permet aux
passagers de respirer et de vivre normalement. Par contre, la
résistance de l'air ne s'oppose plus à la progression du véhicule,
l'attraction terrestre est pour ainsi dire nulle, de sorte qu'en se
maintenant à cette hauteur, on peut, sans grande dépense d'énergie,
faire la traversée aérienne de l'Atlantique en trois heures.
« Tout
cela est très réalisable et permet de songer plus tard au voyage
dans la Lune ou dans Mars... »
Ainsi,
quand nous irons dans la Lune, ce sera dans la carlingue hermétique
d'un avion-fusée.
Il
est à présumer, en effet, que nous commencerons nos voyages
célestes par cette planète au visage pâle dont l'expression
narquoise a, de tout temps, stimulé nos rêves d'évasion. C'est
d'ailleurs la plus proche. La distance qui nous en sépare n'égale
pas dix fois le tour de notre globe – en somme, un saut de puce –
et l'on peut escompter qu'un service d'été desservira un jour cette
banlieue rafraîchissante.
L'air
y manque, l'eau aussi, mais ses mers desséchés ont des noms si
charmants qu'on ne saurait résister au désir d'aller, tout au
moins, prendre des bains de soleil sur leurs plages peu fréquentées.
Quel repos pour un Parisien de planter sa tente au bord de la Mer de
la Tranquillité !
Quant
aux visites aux autres planètes, il y faudra plus de temps. Elles
vaudraient pourtant le voyage. On y verrait Mercure, où il fait
toujours nuit dans un hémisphère et jour dans l'autre ; Vénus,
où l'on peut boire et où les alpinistes trouveraient des montagnes
de cent mille mètres d'altitude à escalader ; Mars, cette
terre d'outre-ciel, avec ses canaux et ses habitants méprisants qui
dédaignent de nous répondre depuis si longtemps que nous leur
envoyons message sur message ; Saturne, un monde à lui tout
seul, avec ses tourbillons de lunes ; Jupiter, plus d'un million
de fois plus gros que notre planète, pays de nuages et de soleil, où
le vent souffle à 360 kilomètres à l'heure (départ et arrivée
chronométrés par Herschell).
Néanmoins,
ce sont là encore des régions assez voisines, puisqu'après tout,
les planètes gravitent autour de leur père le Soleil, ne forment
qu'une petite famille isolée dans les cieux. Les difficultés
surgiront le jour où l'on voudra aller encore plus loin, et, comme
dit Jean Richepin : « appareiller pour les étoiles ».
En effet, un vertigineux abîme s'interpose entre le système solaire
et l'étoile la plus proche dont la lumière met plus de quatre
années à nous parvenir, au train de trois cent mille kilomètres à
la seconde.
Qu'il
serait beau pourtant de naviguer dans le vide, donc à l'abri des
courants d'air, à travers les constellations ! Les vieilles
cartes du ciel nous serviraient de guides. Nous irions revoir ,
là-haut, les bêtes fabuleuses qui ont émigré de nos bois, comme
l'Hydre et la Licorne ; des héros exilés comme Castor et
Pollux ; des animaux en voie de disparition comme la Baleine, et
des personnages désormais proscrits de la cité, comme le Cocher…
Qui
sait même si, dans ces profondeurs, nous ne rencontrions pas quelque
monde perdu où les hommes vivent sans téléphone, sans bruit de
moteurs, sans terme à payer et, par surcroît, s'aiment entre eux ?
Mais le jour où cela se saurait sur la terre, les compagnies
d'avions-fusées, voyant leurs voyageurs ne plus demander d'aller et
retour, démentiraient la nouvelle, de peur que leur clientèle ne
s'échappe à jamais.
Jean
Galotti, « Tourisme interastral ou le voyage de demain »,
in VU, n°26, 12
septembre 1928
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