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ISSN 2496-9346

jeudi 18 avril 2019

Leslyn M. Heinlein, Une femme a vu partir la fusée stratosphérique (1946)

Pour ce onzième billet consacré à l'exploration de la science-fiction, de la prospective, de l'anticipation dans V. Magazine, la femme de Robert Heinlein, tout au moins est-elle présentée ainsi (le couple se sépare en 1947), Leslyn M. Heinlein témoigne du lancement d'une fusée stratosphérique en 1946.





Une femme a vu partir la fusée stratosphérique.

Mrs Leslyn M. Heinlein, épouse de Robert Heinlein, l’auteur de romans d’anticipation qui ont un grand succès aux Etats-Unis, a été la seule femme à assister aux essais de fusée stratosphérique à White Sands, au Nouveau Mexique. Cet article a été écrit en exclusivité pour « V » avec l’approbation de l’U.S. Army Ordnance de Wahsington.

Si quelque chose va mal, nous dit le colonel, couchez-vous à terre.
Il était presque midi, nous nous trouvions à une centaine de mètres à peu près de la plateforme de lancement de la fusée stratosphérique n°6 sur le terrain d’expériences de White Sands, près de Las Cruses au Nouveau Mexique. Nous étions juste au-delà de la barrière qui marquait la zone dangereuse à l’extrémité sud du terrain, où notre vue n’était gênée par aucun autre obstacle que la limite de la vision humaine.
A 12h15, un panache de fumée rouge-feu s’échappa du haut du blockhaus, encore vingt minutes à attendre. Bientôt le « Meillen » – le remarquable transporteur et élévateur qui amène les futurs V2 des ateliers de construction jusqu’à l’emplacement et les dresse sur la plateforme – s’en alla. La fusée resta seule, posée sur ses ailettes, quatre pointes de 10cm2 supportant 13 tonnes de vitesse enchaînée.
Les opérateurs de cinéma commencèrent à vérifier leur mise au point. Le petit fil du camion du « son » se mit à tourner. Nous fûmes tous pris d’une sueur qui n’était pas due au soleil du désert.
Je me sentis trembler et cependant je n’avais pas peur. Une poignée de techniciens quitta la plateforme en courant à travers le terrain jusqu’à l’abri d’un bloc de béton.
Je regardai ma montre. Encore deux minutes.
Je n’ai jamais vécu 120 secondes plus longues…
Il y eut un léger éclat de lumière sur la base de la fusée. Bob retint son souffle pour ne pas bouger son appareil et commença à prendre des photos aussi qu’il pouvait enrouler la pellicule.
Doucement, incroyablement, infiniment doucement, l’énorme chose s’éleva, soutenue au-dessus du béton par un colonne de feu brillante comme le soleil.
Quand elle eut atteint une quinzaine de mètres, le son commença, si profond et si lourd que je sentis sa pression sur ma poitrine et mes genoux qui pliaient sous le souffle du bruit.
Puis, elle se sépara du sol. Et presque aussitôt ce fut un point dans le ciel bleu sans nuage – comme une étoile étincelant près du soleil de midi.
Il y avait une courte traînée de ce qui pourrait être appelé de la fumée, et quand elle atteignit l’altitude de 40 km., la traînée nuageuse apparut. Dense et blanche comme un nuage du désert, elle décrivait des spirales dans les vents de la stratosphère.
Au moment où la fusée atteignit les 40 km. d’altitude, Bob s’arrêta de prendre des photos et reprit sa respiration.
C’est la mesure la plus précise que je puis vous donner de la vitesse qu’atteignent ces choses : 40 km. De grimpée en chandelle dans le temps qu’un homme peut tenir son souffle et prendre trois instantanés de Leica.
Quand la traînée de condensation commença à s’effilocher en lambeaux tenus, la fusée verte de « fin de danger » monta au sommet de la pyramide. Nous nous mimes tous à courir. Certains sautaient de joie en criant.
Bientôt, l’officier responsable, le lieutenant-colonel Harold Turner , de l’Army Ordnance, sortit du blockhaus où ses officiers adjoints étaient encore occupés à recueillir les renseignements fournis par le pistage au radar. Il nous informa que la fusée était tombée à quelques vingtaines de mètres de l’endroit prévu, à 75 km. au Nord, dans la vallée supérieure du Tularosa. Le combustible s’était coupé inexplicablement, quelques secondes trop tôt et l’altitude espérée n’avait pas été atteinte. Néanmoins le record était battu. La fusée n° 6 avait pénétré dans les régions supérieures de l’ionosphère jusqu’à 115 km. de hauteur.
Plus tard, lorsque les tables furent débarrassées, nous entrâmes dans le blockhaus. Sur un côté, entre deux des meurtrières dans le mur de 2 m. 50 de béton se trouvait un panneau d’instruments pas plus grand qu’une table de cuisine d’où s’effectuait tout le contrôle de la fusée elle-même.
Et cependant, mon impression la plus vive de toute l’expérience n’a pas été les appareils et les boutons de commande. En dépit des fusées et des bombes atomiques, nous ne sommes pas encore dans un monde où tout est commandé par « boutons », mais un monde où la chose la plus incroyable et la plus étonnante est l’ingéniosité et l’imagination créatrice de l’esprit humain – pour lequel on n’a pas encore inventé de « bouton ».


Leslyn M. Heinlein, "Une femme a vu partir la fusée stratosphérique", V. Magazine, n°105, 6 octobre 1946.


Gallica a mis en ligne récemment plusieurs années de publication de V Magazine. Ce périodique édité par le Mouvement de Libération Nationale (à partir du 23 septembre 1944) est au départ un magazine plutôt politique avant de s'orienter vers une revue un peu légère dont les principaux acteurs sont les nudistes de multiples fois mis en scène et des pin-ups afin de proposer aux lecteurs quelques images osées.

Par commodité nous utilisons la dénomination V Magazine même si le titre a beaucoup varié tout comme les sous-titres l'accompagnant (successivement VV MagazineVoir Magazine, Voir et avec les sous-titres "L'Hebdomadaire du M.N.L"., "L'Hebdomadaire du reportage",...).

Dans les pages de V Magazine, on peut repérer, entre 1944 et 1948 pour les 184 numéros disponibles sur Gallica, une trentaine de textes et dessins relevant de la prospective ou de la conjecture.



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