En janvier 1936 le mensuel La Vie en Alsace donnait le résultat d'un concours pour la jeunesse autour de l’œuvre Jules Verne :
Autour
d'un concours pour la jeunesse
Jules
Verne, glorifié en Alsace
Jules
Verne, ce prestigieux conteur qui charma notre imagination d'enfant,
Jules Verne, l'écrivain du fantastique, l'anticipateur, le «
prophète » du siècle passé, vient d être dignement glorifié en
Alsace à l'occasion de son anniversaire le 8 février dernier.
Hommage exceptionnel et touchant que cette manifestation organisée
par Radio-Strasbourg, à la mémoire du célèbre auteur du «
Tour du Monde en quatre-vingts jours ». La grande station
alsacienne, non seulement avait tenu à commémorer l'anniversaire du
maître du roman scientifique par une émission Jules Verne,
illustrée fort à propos d'interviews de personnalités du monde
savant, mais elle avait surtout rattaché à cette manifestation
radiophonique un grand concours réservé à ses jeunes auditeurs.
Nombreux furent les appelés et nombreux aussi furent les élus de la
gent enfantine et studieuse qui traitèrent le sujet proposé à leur
jeune imagination :
1°
Vous avez lu des ouvrages de Jules Verne. Dites pourquoi ils vous ont
intéressé et montrez aussi comment Jules Verne a prévu longtemps à
l'avance de nombreuses inventions aujourd'hui réalisées.
2°
« Si vous le voulez, ajoutez une petite description de l'existence
en l'an 2000 telle que votre fantaisie l'imagine aujourd'hui. »
Ayant
eu le plaisir de collaborer aux travaux du Comité d'organisation et
de participer aux opérations du Jury j'ai pu, des flots de papier —
et parfois d'éloquence — proposés à mon humble appréciation,
tirer quelques considérations réconfortantes. Un fait réjouissant
tout d'abord : Jules Verne figure toujours en bonne place dans les
bibliothèques enfantines et notre jeunesse se passionne encore pour
les aventures de ces savants fantasques, de ces hardis explorateurs
qui s'appellent Fergusson, Hatteras, Clenarvan, Paganel, Arronax,
capitaine Nemo, Philéas Fogg, etc. Avouons franchement que ces
aventures sont autrement intéressantes, infiniment plus saines et
mieux présentées que ces exploits policiers, ces histoires de
gangsters qui forment les principaux sujets de toute une littérature
moderne et spéciale offerte à la jeunesse.
Tous
les jeunes concurrents nous ont dit le plaisir qu'ils avaient pris à
suivre les héros de Jules Verne, dans leurs courses folles à
travers le monde, dans des pérégrinations où la fantaisie s'allie
à la vérité, dans des féeries scientifiques riches de détails
inattendus et originaux, pleines d'enseignements de toutes sortes,
d'anticipations géniales aujourd'hui réalisées. Jules Verne est et
restera longtemps encore le conteur de la jeunesse.
Mais
ce qui m'a surtout diverti dans la lecture de ces compositions ce fut
le développement du deuxième point du sujet : La vie en l'an 2.000
«visionnée» par la fantaisie de nos Jules Verne en herbe. Que
d'effarantes prédictions ! que d'étonnantes trouvailles peuvent
germer dans le cerveau de nos moins de quinze ans. Ah ! elle sera si
belle la vie au XXIe siècle, vue par anticipation, à travers le
prisme de ces jeunes imaginations, que l'on est presque tenté de
plaindre ceux qui seront encore de ce monde en l'an 2.000! La Science
et la Mécanique auront vaincu le Temps, l'Espace et l'Effort,
constatent la plupart des concurrents. Les écoliers suivront leurs
cours par télévision; ils auront des machines à faire les devoirs
et à réciter les leçons; ils iront passer leurs vacances au pôle
nord, à moins que ce ne soit sur Mars ou sur la Lune ; dans ce
dernier cas ils emprunteront pour leur voyage interplanétaire la
fusée astrale... Pas plus compliqué que ça !
Tous
nos jeunes anticipateurs, avec un ensemble vraiment étonnant,
prédisent la pilule alimentaire, qui évitera aux ménagères les
soucis de la cuisine et délivrera les enfants de la traditionnelle
bouillie. Notons pourtant que quelques petits gourmands n'admettent
pas que l'on puisse jamais remplacer par des comprimés les bons
gâteaux et le délicieux chocolat. Ce jour là il y aurait
révolution chez les gosses !
Un
candidat de Strasbourg, très sérieusement, nous annonce la «
motorisation des piétons» (sic).
On
n'ira plus faire le plein au « bistro du coin » mais à la pompe à
essence... Quant aux automobiles elles seront équipées de
dispositifs répulseurs magnétiques qui éviteront toutes les
collisions, même avec les piétons motorisés ! On ne pourra plus
écraser que les chiens... s'il en reste encore en l'an 2000. En
cette époque de Progrès à outrance les hommes, plus heureux
qu'Icare, pourront voler par leurs propres moyens, à l'aide d'ailes
fixées aux bras; cela ne signifie pourtant pas qu'ils seront des
anges, précise un concurrent spirituel.
Cet
autre garçonnet de 12 ans qui a déjà des opinions bien arrêtées
quant au personnel domestique, se réjouit de se voir servi en l'an
2.000 par des automates, propres, obéissants, discrets qui auront
toutes les vertus que nous réclamions vainement de nos serviteurs. «
Oui, Monsieur, un automate qui ne regardera pas par le trou de la
serrure, comme notre Philomène...» Un amateur de romans policiers
nous assure que les savants auront trouvé, avant 60 ans, le liquide
qui rendra les hommes invisibles et alors, conclut-il avec une
certaine philosophie désabusée, « tout le monde sera voleur...»
Un
autre concurrent est absolument convaincu, qu'avant la fin du siècle
les physiciens découvriront le moyen « de faire à volonté la
pluie et le beau temps ». Le pôle Sud (pourquoi le pôle Sud,
plutôt que le pôle Nord ?), fertilisé, climatisé, sera habité,
mais revers de la médaille, constate avec quelque regret ce jeune
républicain il « sera en état de dictature...»
Une
petite fille est toute heureuse de nous affirmer qu'en l'an de grâce
2000 elle ne sera ni vieille, ni ridée, car les chimistes auront
découvert l'eau de Jouvence qui lui épargnera «des ans
l'irréparable outrage. » Coquetterie, éternel souci de l'éternel
féminin !
Et
je pourrais citer ainsi des centaines et des centaines de prédictions
folles ou vraisemblables, cocasses ou originales de tout un petit
monde en ébullition. Mais comment en face de toutes ces prophéties
révolutionnaires ne pas reproduire cette conclusion pleine de
sagesse : «Nous les jeunes d'aujourd'hui qui serons les vieux de
l'an 2.000 peut-être regretterons-nous le bon vieux temps de 1936 !
» ou cette autre encore : « Et pourtant, qui sait si je ne me
trompe pas. Peut-être, qu'à cette époque, le monde sera si dégoûté
de la mécanique, qu'il redeviendra plus sage et retournera à la vie
simple de nos ancêtres. -Peut-être nos descendants se plairont-ils
à vivre dans des maisonnettes rustiques, entourés de leurs champs,
heureux d'aller à pied ou à cheval, détestant les engins
mécaniques. Ce ne serait plus des Jules Verne qu'il faudrait alors,
mais des trouvères, des troubadours qui viendraient leur chanter les
exploits du vieux temps ou un autre Homère qui irait de maison en
maison, conter de vieilles, vieilles histoires »
Comme
on a pu s'en rendre compte par cet aperçu succinct le Concours Jules
Verne de Radio-Strasbourg a fait couler beaucoup d'encre. C'est un
beau succès pour notre station alsacienne et il y a lieu de se
féliciter de cet hommage rendu par la jeunesse scolaire à la
mémoire du célèbre conteur, de cet écrivain sympathique dont
Hector Malot pouvait dire : « C'est un des meilleurs de nous tous :
franc comme l'or ! ».
Géo
MARCHAL.
N.
B. — Un jury de 25 personnalités de Strasbourg, appartenant à
l'Université, à la Presse, au Commerce, à l'Industrie, a procédé
à l'examen des compositions et au classement des concurrents. Ce
classement, fort difficile à établir en raison du grand nombre des
concurrents — il y en avait de toute la France, des Colonies et de
l'étranger — a donné les résultats suivants :
Catégorie
1 (8 à Il ans): François Grolleron, Colmar.
Catégorie
II (11 à 13 ans): Norbert Luttenschlager, Strasbourg
Catégorie
III (13 à 15 ans) : Lucie Mangin, Metz.
Comme
on le voit les concurrents Alsaciens et Lorrains ont bien défendu
leurs chances.
In La Vie en Alsace : revue
mensuelle illustrée, janvier 1936