A la fin du XIXe siècle, le projet de relier l'Angleterre au continent ne semble plus qu'une question d'années. Dans Les Découvertes de Monsieur Jean (1883) signé Emile Desbeaux est évoqué le début des travaux de percement d'un tunnel sous la Manche...
— Oh! mais tu es un savant, monsieur Jean! dit M. de Gaël. Et sais-tu comment s'appelle la mer que tu as devant les yeux?
— Mais oui, répondit Jean d'un petit ton ennuyé comme si la question était trop facile, c'est la Manche.
— En effet. Et pourquoi ce nom ?
— Parce que cette mer a la forme d'une manche.
— C'est bien cela! l'océan Atlantique s'introduisant entre l'Angleterre et la France se resserre et prend la forme d'une manche d'habit, dont l'épaule serait à l'île d'Ouessant et le poignet au pas de Calais. C'est, en tout, cas, une manche peu ordinaire, et il a fallu aux premiers pêcheurs qui l'ont parcourue et baptisée une certaine dose de bonne volonté, car à l'endroit où nous la voyons elle est large de deux cent cinquante kilomètres et sa longueur totale en compte cinq cent vingt. Le vaste bassin de la Manche est resserré entre la Bretagne et les comtés de Devon, Sussex et Cornouailles en Angleterre. En France, ses rivages sont de couleur grise, découpés, bordés de rochers battus par les vagues, semés de nombreux îlots et d'écueils perfides; en Angleterre, ils se déploient en longues lignes de falaises blanchâtres aux pieds desquelles le flot roule des galets.
— C'est une manche de géant! dit Fernande.
— Et le tunnel? dit M. Jean.
M. de Gaël regarda son neveu, fort étonné :
— Comment! tu sais qu'on creuse un tunnel sous la Manche?
Puis, s'adressant à André
— Crois-tu qu'on réussira dans cette difficile opération ?
— Je le crois, répondit André. Le percement a bien débuté. On a reconnu le terrain et tout fait supposer que les roches sont assez tendres pour être percées de Douvres à Calais et, en même temps, assez résistantes pour qu'un éboulement ne soit pas à craindre.
— Alors, dit Fernande, on pourra traverser la Manche à pied sec !
— Oui, comme ce héros de roman à qui l'auteur faisait
traverser l'Océan à franc étrier. On ira de Calais à Douvres en chemin de fer, en voiture ou à pied avec soixante mètres de mer au-dessus de la tête.
— Comme ce sera curieux, ce tunnel ! dit Fernande.
— C'est égal ! M. Jean est très fort, ajouta M. de Gaël en souriant, il sait tout!
Émile Desbeaux, Les découvertes de monsieur Jean : la terre et la mer,
Editions P. Ducrocq, 1883, p. 24-25