Les journaux de tranchées et les journaux de prisonniers de la Première Guerre Mondiale recèlent quelques anticipations. Certaines visent à galvaniser les troupes en présentant un avenir radieux dans lequel l'Allemagne est écrasée et la paix règne, d'autres sont destinées à faire sourire pour remonter le moral.
Le Canard, Journal des prisonniers de guerre publié en français à Nüremberg propose un petit texte qui nous montre un futur dans lequel les femmes dominent. Les éléments anticipés sont faibles : la date (1930), l'annonce d'une guerre de quinze, l'inversion de l'ordre des sexes dans la société mais ils témoignent d'une certaine vision des rapports sociaux. L'idée de la substitution de la domination féminine à celle des hommes dans un futur plus ou moins proche se retrouve aussi dans "Le féminisme en 1958" de Clément Vautel (1918, lire le texte) avec une vision masculine voire machiste mais "En 2013" une pièce de Mrs Hemmick (1913, lire la critique) qui plutôt l'égalité entre les sexes que la domination de l'un sur l'autre.
Au
Temps
où
les
femmes
régneront.
(Conte
Futur)
En
1930, les
femmes, lassées
de leur
servitude
et profitant
de
l'irrémédiable
pénurie d'hommes
résultat
de la
«Grande Guerre
de Quinze
Ans»
renversèrent
l'autorité masculine
et
installèrent la
leur en lieu
et place
Les
journaux.
Je
poussai
la
porte
du
café
d'un
geste
timide
et
honteux,
et
je
m'empressai
de
gagner
le
fond,
où je
savais
trouver
Hortense,
ma
femme,
et
son
habituelle
société
de
dames
avec
lesquelles,
chaque
soir, elle
se
complaisait
dans
d'interminables
manilles.
Elle
m'aperçut
et
je
lui
souris,
encore
qu'elle
fit
son
œil
noir,
précurseur
des
violents
orages
conjugaux.
J'usai
alors
du
stratagème
que
je
lui
avais vu
employer
autrefois
avec
succès
quand
les
femmes subissaient
la
loi
des
hommes,
et
qui
consiste
à
parler
à
mots
doux
et
à
montrer
figure
agréable alors
qu'on
voudrait
mordre
et
même
tuer.
—
Ma
chérie,
lui
dis-je,
d'une
voix
que
je
m'efforçai de
rendre
mélodieuse,
j'ai
couché
les
deux petits.
Si
tu
les
voyais
dormir,
tranquilles
et
souriants!
Quel
joli
tableau!
Tout
à.
L'heure,
avant de
venir
te
chercher,
je
ne
me
rassasiais
pas
à
les
regardera
La
fibre
maternelle
ne
vibra
point;
mais
un
mot
brusque, sec
comme
une
gifle,
m'interrompit.
Je
tombai mal,
dans
une
de
ces
passes
de
jeu,
où
toutes
les
facultés
se
concentrent
en
vue
de
la
réussite suprême,
je
m'assis,
et
me
disposai
à
la
longue
attente
qui,
sûrement,
allait
suivre.
Les
coups
rapides
se
succédaient,
excitant
un
intérêt majeur
chez
chacune
des
manilleuses,
à
en
juger d'après
l'animation
fiévreuse
que
reflétaient
leurs
traits,
et,
agrémentant
la
partie,
des
expressions
vives,
familières
se
croisaient,
que
je
saluais
au
passage
comme
de
vieilles
connaissances,
pour les
avoir
employées
moi-même
autrefois,
au
temps
de
notre
domination....
La
passe
terminée,
on
en
apprécia
les
péripéties,
temps
de
repos qu'on
marqua
par
des
libations.
Parce
qu'elle
gagnait,
Hortense
me
témoigna
tout
de
même
quelque
pitié; et
me
fit
servir
une
consommation.
Alors,
ces
dames
prirent
leur
verre
en
mains
et,
galamment,
me
convièrent
à
boire
avec
elles.
Le
jeu
reprit
avec
acharnement.
Pour
passer
le temps,
je
jetai
les
yeux
autour
de
moi.
Aux
tables voisines
se
tenaient
des
personnes
du
sexe,
gui
ne
jouaient
pas,
pour
la
plupart,
mais
discutaient
violemment,
en
frappant
sur
le
marbre
d'un
poing
exercé,
je
crus
comprendre
qu'il
s'agissait
d'élections qui
devaient
être
prochaines.
Comme
je m'en
informai
timidement
auprès
d'Hortense,
elle
me
répartit
aigrement:
—
»De
quoi
te
mêles-tu?
Ca
te
regarde
maintenant
les
élections
et
le
gouvernement?
Depuis
que vous
n'y
êtes
plus,
est-ce-que
ça
ne
marche
pas aussi
bien?
Je
pensai
qu'en
effet
«ça
marchait
aussi
mal»,
mais je
n'osai
le
formuler
en
une
phrase
vengeresse,
parce que
j'avais
conscience
de
notre
faiblesse
à
nous,
les
hommes;
et,
l'âme
servile,
je
suivis
la partie,
partageant
avec
une
complaisance
résignée
les
émotions
diverses
que
créait
le
jeu
chez
ces natures
«virilisées», dont
l'autorité
despotique
et
brouillonne
avait
remplacé
la
nôtre
....
T.
« Au
Temps
où
les
femmes
régneront »,
in Le Canard,
Journal des prisonniers de guerre,
n° 25, dimanche 13 janvier 1918, Nüremberg, illustration anonyme [non reprise ici]
Source du texte: Gallica
Source du texte: Gallica
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