L'œuvre
de Maurice Bouchor (1855-1929) a
souvent utilisé comme support de dictées et de récitations dans
les écoles laïques. Il fut pourtant pétri de mysticisme (dans le
recueil dont est extrait le poème qui suit on trouve un poème sur
l'hindouisme, un sur l'Islam et un sur Jésus Christ) et devint un
propagateur du végétarisme. Le texte proposé repose sur l'idée
d'un au-delà et est dans la veine utopique.
Temps
futurs
Tous, quand luira le
jour d'une paix fraternelle,
Entendront retentir
de sublimes accords ;
Tous, n'étant plus
qu'une âme en d'innombrables corps,
Ecouteront chanter
l'Harmonie éternelle.
Tout le travail sera
noble ; et c'est par la beauté
Que le juste et le
vrai pénétreront les âmes…
Ah ! ne
peux-tu, désir violent qui m'enflammes,
Peindre en mots
lumineux l'idéale Cité ?
Mais qu'importe !
A quoi bon dire avec les prophètes
Qu'un fleuve de vin
ruissellera des monts ?
Trop heureux si d'un
mâle amour nous nous aimons
Et si nous pouvons
vivre en paix avec les bêtes…
Alos, s'il est un
Dieu hors du monde et de nous,
Quelle extase pour
l'âme ! Il n'aura point d'athée ;
L'ineffable
splendeur sera manifestée ;
Un hymne montera des
peuples à genoux.
Certes, s'il ne veut
point que la prière meure,
Dieu s'écriera :
« Béni soit l'hymne que j'entendes ! »
Et, joyeux de fouler
le beau chemin du temps,
L'Homme s'élèvera
vers Celui qui demeure.
S'il n'en est pas
ainsi, de moins, il aura foi
Dans l'avenir d'un
monde où la justice est née,
Sûr qu'il marche à
son but, et que sa destinée
Se déroule suivant
une infaillible loi.
« Le bonheur
des vivants et l'amour qui les mène,
S'écriera-t-il,
c'est Dieu ! » Chaque jour plus réel,
Ce Dieu resplendira
dans la beauté du ciel,
Mais d'un éclat
moins pur que dans la face humaine.
Peut-être que la
Mort perdra son aiguillon,
Et que, dans une
chair sans fin renouvelée,
L'âme palpitera
comme une chose ailée,
Oui, comme un
radieux et libre papillon.
Ou bien l'auguste
Mort sera sans agonie ;
Chacun, d'un ferme
coeur, verra venir son tour,
Content d'avoir été,
dans ces siècles d'amour,
Un frémissant
anneau de l'a chaîne infinie.
Votre félicité ne
me rend point jaloux,
Hommes puissants et
bons des époques futures ;
Mais nous aurons
subis, nous, de longues tortures ;
Quand vous serez
heureux, frères, pensez à nous.
Ah ! Terre,
souviens-toi, Terre transfigurée !
Et songe avec
tristesses, avec fierté pourtant,
A ceux qui
préparaient ton triomphe éclatant,
Et qui doutaient
parfois de leur œuvre sacrée.
Maurice
Bouchor, « Temps futurs », in Vers
la Pensée et vers l'action : poèmes inédits ou revus,
Hachette, 1899
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