LES LIVRES
Quatre romans de MM. EUGÈNE VERNON, MARIUS-ARY LEBLOND, JOHN-ANTOINE NAU et HENRI GHÉON.
Est-ce cette année que l'Académie Goncourt compte décerner pour la première fois le prix destiné au meilleur roman de jeune? Si j'étais juge, voici quatre romans que j'aurais retenus, entre lesquels je pourrais hésiter : Gisèle Chevreuse, de M. Eugène Vernon, le Zézère, de MM. Marius et Ary Leblond, la Force Ennemie, de M. John Antoine Nau, et enfin, le Consolateur, de M. Henri Ghéon. Chacun de ces livres est louable à plus d'un titre. Les auteurs ont, je crois, à peu près le même âge, c'est-à-dire moins de trente ans.
[...]
Si jamais sujet prêtait au développement naturaliste, c'est bien celui qu'a traité M. Nau. Force Ennemie, est l'histoire d'un fou, enfermé dans une maison de fous ; le milieu est constitué par ses compagnons de cellule, ses gardiens, les médecins qui le torturent. Et, cependant, ce roman se présente avec un agrément d'art, de choix, et même de légèreté, et j'en puis parler sans avoir la moindre envie de me tirer d'affaire par une digression sur la loi de 1838.
C'est d'abord, bien entendu, que l'auteur a beaucoup de talent. C'est, aussi que M. John-Antoine Nau, bien que procédant évidemment de Villiers de L'Isle Adam, d'Edgar Poe et de Baudelaire, a été très fortement marqué par les humoristes, et ce sont, à mon avis, les humoristes — pour me servir d'un mot inexact, mais qu'on a coutume d'appliquer à des hommes comme MM. Jules Renard ou Tristan Bernard - qui auront renouvelé, par une influence directe ou détournée, les procédés du roman moderne... Qu'on ne prête pas d'ailleurs à M. Nau le mauvais goût d'avoir écrit un roman gai sur la folie ; son livre est sérieux, vrai, et même triste, mais bien qu'écrit sur un sujet atroce, il est sans pesanteur, sans diffusion et sans ennui. Cela n'empêche pas que la pénétration de l'analyse soit très aiguë, et les pages où M. Nau montre son aliéné à demi-lucide « habité comme un fruit véreux », logeant en lui « la force ennemie » qu'il connaît, contre laquelle il lutte, qui lui impose des paroles et des actes qu'il sait déments, font véritablement penser à quelque
conte d'Edgar Poë. L'ennemi intérieur s'isole peu à peu, se personnalise, le fou dialogue avec lui, et c'est une fiction puissante que l'auteur a eu le seul tort de pousser trop loin. Le style est exact et riche, peut-être un peu inarticulé, mais l'auteur d'un pareil livre—M. Nau qui n'avait publié auparavant qu'un volume de vers, Au Seuil de l'Espoir — est un écrivain sur lequel on peut fonder les plus belles espérances.
Source de l'article: Gallica
Force ennemie est disponible en version numérique dans la collection ArchéoSF aux éditions publie.net
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire