Louise Michel a marqué de son empreinte toute la fin du XIXe siècle et son souvenir reste particulièrement vivace.
On l'ignore parfois mais Louise Michel ne fut pas seulement une infatigable propagatrice du mouvement libertaire et du féminisme mais aussi une auteure de science fiction, notamment sous la forme d'anticipations sociales.
En 1887, un article est publié dans Le Temps puis repris par Adolphe Brisson, sous le pseudonyme de Sergines, relatant les travaux d'écriture de Louise Michel dans ce domaine.
Deux des romans cités ont été publiés : Les Microbes humains (1886), Le Monde nouveau (1888) auxquels il faut ajouter Le Claque dents (1889), se terminant par une révolution prolétarienne planétaire, qui est une suite des romans précédents.
Ces trois romans ont été réédités en 2013 aux Presses Universitaires de Lyon.
Ces trois romans ont été réédités en 2013 aux Presses Universitaires de Lyon.
De son côté ArchéoSF dans l'anthologie Demain, les Révolutions. Utopies & Anticipations révolutionnaires propose L'Ere nouvelle de Louise Michel, texte datant de 1887.
LOUISE
MICHEL
Que
devient donc Louise Michel ? Jadis il ne se passait pas huit
jours sans qu'on apprît qu'elle avait évangélisé un faubourg de
Paris ou reçu quelques horions à l'issue d'une conférence dans une
commune de la banlieue. Un congrès révolutionnaire vient d'avoir
lieu, elle n'y a pas paru ! Cette disparition d'une personne qui
a si souvent défrayé la chronique parisienne mérite d'être
expliquée. Louise Michel n'a rien abandonné de ses idées
révolutionnaires, et ce ne sont point les huées qui l'ont
accueillie extra
muros qui
l'ont décidée à se retirer sous sa tente. Elle a pour un instant
seulement donné le pas sur la politique à des préoccupations
purement littéraires.
A
Levallois-Perret, où l'un de nos collaborateurs lui a rendu visite,
elle habite, au cinquième étage d'une maison de la rue Victor-Hugo,
un très petit logement ; elle y vit en compagnie d'un petit
chien brun qui, comme celui de Lamartine, se couche à ses pieds
lorsqu'elle écrit.
—
Que
voulez-vous ? disait-elle à son visiteur, j'aime beaucoup les
réunions révolutionnaires, mais je ne puis y aller aussi souvent
que je le voudrais. Ce sont pour moi des dépenses considérables,
et, pour l'instant, il me faut travailler et beaucoup travailler pour
payer mes dettes. Je n'ai pas abandonné mes amis, bien au contraire.
Puis elle expose à son interlocuteur tous ses projets littéraires.
Elle a commencé, il y a quelques mois, la publication d'une « série
rouge » comprenant six volumes. Le premier, les Microbes
humains,
a déjà paru. Les cinq autres vont paraître prochainement. Elle en
corrige actuellement les épreuves. Ils porteront pour titre :
le Monde
nouveau,
la Débâcle
ou le Cauchemar de la vie,
Première
étape,
l’Épopée
ou la Légende nouvelle
et D'astre
en astre.Voici
l'idée générale de cette série rouge : Louise Michel prend,
dans la société actuelle, les dégoûtés, les désespérés, les
assassins, toutes les victimes des lois et des coutumes
d'aujourd'hui, les fait s'associer entre eux et fonder le plus près
possible du pôle Nord une colonie où ils pourront vivre comme elle
rêve qu'on vivra demain, c'est-à-dire en toute liberté, et
délivrés de toute autorité et de tout esclavage moral ou matériel.
—
J'ai
préféré le pôle Nord, disait-elle, parce que là ils auront à
lutter contre les éléments. La
Première étape,
c'est l'éclosion de cette société. Tous mes personnages sont
hideux et repoussants, mais faisons une comparaison. Un ver qui se
transforme et devient insecte devient, lorsque cette transformation a
lieu, horrible. Puis peu à peu ce monstre prend une forme moins
hideuse, ses ailes apparaissent, son vol au début est pénible,
hésitant, puis enfin il vole sans hésitation. Nous arrivons alors à
l’Épopée
ou la Légende nouvelle.
Et Louise Michel ajoute qu'elle fera détruire par une mission
scientifique cette colonie représentant la société future établie
au milieu de la société actuelle. Cette catastrophe se produira à
l'aide d'une matière explosible plus puissante que la dynamite
découverte par ses héros du Cauchemar
de la vie
et dont l'invention leur aura été ravie par des savants. Enfin
D'astre
en astre
sera une sorte d'apothéose. On pourra communiquer de comète en
comète, de satellite en satellite, d'astre en astre. Sera-ce avec le
téléphone ou le télégraphe ? Ce dernier volume n'est qu'à
l'état de projet.
Louise
Michel a écrit aussi une Petite
encyclopédie à l'usage de la jeunesse,
qui va paraître. Elle comprend deux chapitres : le premier,
c'est le monde vu à vol d'oiseau au microscope et au télescope, et
le second comprend tout ce qui est langue, mécanique, dessin et
calcul.
En
ce qui concerne les langues, Mlle Louise Michel commence l'éducation
des enfants par les cris poussés par les animaux, cris qui se
ressemblent plus ou moins, et partant de ceci que, dans les sciences,
certains mots sont communs à presque tous les peuples, elle nourrit
le rêve de créer « une langue universelle. »
Le
deuxième volume des Mémoires de Louise Michel est sous presse; pour
paraître aussi Contes et légendes et les Crimes de notre époque,
et enfin un volume de vers, les Océaniennes, dont elle a bien voulu
nous communiquer les deux strophes suivantes :
BOUCHE
CLOSE
Nul souffle humain n'est sur ces plages,
Nul souffle humain n'est sur ces plages,
Rien
que celui des éléments;
Le
cyclone hurlant sur les plages
Les
légendes des océans.
Les sapins verts sur les nuées
Tordant leurs branches remuées
Comme des harpes dans les vents.
Les sapins verts sur les nuées
Tordant leurs branches remuées
Comme des harpes dans les vents.
Sous
les coraux ou sur les sables
La
nature parfois ouvrant,
Dans
ses tourmentes formidables,
Un
cercueil, ville ou continent,
Et
l'être ayant la bouche close,
Feuille
de chêne ou bien de rosé
Tombant
au gré de l'ouragan.
Mlle
Louise Michel, dès que ces ouvrages auront paru et que ses ennuis
momentanés auront disparu, compte se rendre chez les Canaques.
« J'espère, a-t-elle dit, beaucoup de ces intelligences si
neuves. »
Anonyme,
« Louise Michel », in Le Temps,
n° 9626, 13 septembre 1887.
repris
sous le nom de Sergines,
« Échos de Paris », in Les
Annales politiques et littéraires,
n° 221, 18 septembre 1887.
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