On commémore aujourd'hui le centenaire de la mort de Guillaume Apollinaire. Poète, écrivain, critique, scénariste d'un film (jamais tourné), critique d'art,... ses talents furent multiples. Il écrivit aussi quelques textes relevant de la science-fiction.
Plongeons-nous dans le voyage temporel en compagnie du roi Arthur ressuscité en l'an 2105!
Arthur Roi passé, Roi futur
À
Blaise Cendrars.
Le
4 janvier 2105, on vit dans les rues de Londres un Merveilleux
Chevalier d’Airain Étincelant et Magnifique. Les passants
pensèrent : « Quelle est cette mascarade ? »
et les femmes de toutes classes qui le virent frissonnèrent jusqu’à
la racine des cheveux en chuchotant : « Le beau
Baladin ! » car elles le prenaient pour quelque montreur
de tours.
Le
bel inconnu se dirigea vers Buckingham Palace. À la grille, les
gardes à cheval voulurent lui interdire le passage, mais le preux,
d’un seul regard qu’il leur jeta, leur en imposa, et ils le
laissèrent.
À
la porte du palais, on demanda :
« Qui
êtes-vous ? »
Il
répondit :
« Le
Chevalier du Papegaut.
— Que
demandez-vous ?
— L’Aventure
de ce Château. »
*
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À
ce moment, la fille du roi, avertie par une suivante de la venue du
Chevalier Merveilleux, vint à la fenêtre et pensa défaillir à la
vue du paladin. La suivante dut soutenir sa maîtresse et lui taper
dans les mains et, en se remettant, la princesse regarda encore le
Chevalier d’Airain, sans pouvoir en croire ses yeux. Tout à coup
elle s’échappa, mince et légère comme une abeille, et fut
trouver le roi. Georges IX, dit en Angleterre le Sonneux,
parce que son visage était couvert de taches de rousseur comme si on
l’avait trempé dans un sac de son, et appelé dans les pays de
langue française le Breneux, par suite d’un détestable
jeu de mots sur bran, qui signifie son en
anglais, fut mis par sa fille au courant de l’arrivée du
Merveilleux Chevalier d’Airain Étincelant et Magnifique. Le roi
sourit, en disant que c’était sans doute quelque prestidigitateur
qui demandait à faire des tours au château et qu’il n’avait pas
à s’en occuper personnellement. Mais la princesse insista pour que
son père fît monter le Chevalier.
Pour
contenter sa fille, Georges IX céda. Il sonna et ordonna qu’on
amenât le bouffon.
*
**
**
Le
Chevalier du Papegaut fut introduit auprès du roi, qui était assis
dans un bon vieux fauteuil, les jambes croisées. À sa vue,
Georges IX, ébloui, se leva et demanda :
« N’êtes-vous
pas le bouffon ? »
Le
Chevalier du Papegaut, l’air froissé, répondit : « Je
suis votre roi. »
Georges IX
se prépara à boxer, mais la princesse sa fille s’avança,
cambrée, un poing sur la hanche, vers le Chevalier en disant :
« Et
moi je serai la reine. »
Georges
cria :
« À
l’anarchiste ! »
Et
de toutes parts, à cet appel, les officiers, les chambellans, les
pages et la valetaille accoururent. Parmi ceux qui vinrent, il y eut
aussi un vieux valet de chambre qui était fort savant et qui avait
lu autant de romans de chevalerie que Don Quichotte ; ce
vieillard, en apercevant le Chevalier, ne put s’empêcher de
s’écrier :
« Est-ce
Arthur ?
« Roi
passé.
« Roi
futur. »
Et
celui-ci dit gravement, tandis qu’il pressait chastement la
princesse sur sa poitrine :
« Je
suis Arthur, votre roi, fils d’Igerne, frère d’Uter Pandragon,
et je tins cour jadis à Camalot. Je suis ressuscité, et depuis
quelques jours je suis venu à pied jusqu’ici, ne me montrant qu’à
des paysans, qui me prirent pour une apparition et desquels, en ce
peu de temps, grâce à mes dons naturels, j’ai appris à
m’exprimer en votre langage. »
Si
Arthur ne dit pas un mot de son épouse Genièvre, c’est d’abord
parce qu’il en était veuf et se trouvait avoir une nouvelle
fiancée dans les bras. Et puis aussi parce que cette reine l’avait
fait cocu.
*
**
**
Georges
appela un page qui, après avoir écouté son maître, fit diligence.
Quelques moments après, un médecin et un orfèvre furent introduits
dans la salle. Georges IX les prit à part et leur parla fort
bas. Le médecin, qui ressemblait à M. J.cqu.s C.p… dans le
rôle de Thomas Pollock Nageoire, et l’orfèvre, dont la figure
rappelait celle de M. F.l.x F.n..n, s’approchèrent ensuite du
Chevalier d’Airain et le saluèrent. Le paladin sourit, il ôta son
armure et laissa le médecin étudier curieusement différentes
parties de son corps vigoureux, tandis que l’orfèvre examinait le
travail des métaux qui le vêtaient. Le premier, le médecin se
tourna vers Georges IX et lui dit, après avoir épuisé les
formules d’usage :
« Sire,
ce gentilhomme est certainement d’une origine plus ancienne qu’il
n’est possible d’imaginer. Je ne serais même pas étonné s’il
m’assurait avoir vu le jour avant Sésostris. Sa chair est plus
antique que la plus vieille carne d’éléphant plusieurs fois
centenaire ; c’est à peine si un bifteck de mammouth Congelé
dans les glaces éternelles du nord de la Sibérie peut se comparer
pour sa saine vieillesse, à ces fesses miraculeuses. »
Et,
disant cela, il tapotait le derrière du Chevalier.
L’orfèvre
fut moins explicite :
« Évidemment,
disait-il, ces armes paraissent de l’époque, mais je dois ajouter
que j’en ai déjà fabriqué dans ce goût qui sont honorablement
exposées dans plusieurs musées réputés. Pourtant, si ce
gentilhomme est aussi vieux que le prétend le médecin, il n’y a
point de raison pour que les armes ne soient point antiques
elles-mêmes. »
Mais
à ce moment arriva une réponse à un télégramme que le page avait
lancé, selon l’ordre de Georges IX. Celui-ci, après
avoir lu le télégramme à voix basse, prononça ces paroles :
« Ce
télégramme lève tous mes doutes. En voici la teneur : Tombeau
Arthur vide. »
Il
mit un genou à terre et dit :
« Sire,
je vous rends votre royaume et ne veux être que le plus loyal de vos
sujets. Vous me comblez d’honneur en faisant de ma fille la reine.
— À
ce propos, dit Arthur en relevant le roi détrôné, je vais
commencer par me marier. »
Et
tandis que les assistants criaient : « Hourra !
longue vie au roi Arthur ! longue vie à la reine ! »
des hérauts couraient dans Londres annoncer la nouvelle au peuple.
L’abdication
de Georges IX fut bientôt connue dans le monde entier. Pendant
ce temps, Arthur se mariait, il passa une nuit de noces délicieuse.
Au
réveil, après de nouveaux ébats innombrables et indescriptibles,
Arthur fit venir un tailleur qui lui prit mesure pour des vêtements
modernes. Comme on pense, il n’y eut pas de couronnement à
Westminster, Arthur étant roi depuis des siècles. On célébra
seulement dans les églises catholiques du royaume des services
funèbres comme il convenait pour l’âme de la défunte reine
Genièvre et pour celle de Lohok, le fils du roi Arthur qui
l’engendra de la belle demoiselle Lisanoz, avant qu’il n’épousât
la reine. Ce Lohok eut une vie assez malheureuse. Il avait tenté
l’aventure du château de la Douloureuse-Garde et échoua, comme
firent beaucoup d’autres chevaliers. Il fut délivré par Lancelot
et mourut d’une maladie prise dans les prisons du château.
Les
jours suivants furent employés par le roi Arthur à écouter les
historiens du royaume, qui firent un récit succinct de ce qui
s’était passé depuis sa mort, et la vie reprit son cours
ordinaire cette année même 1914, à la date du 1er avril,
où j’écris cette chronique, Georges V régnant en Angleterre, et
M. Raymond Poincaré, présidant à la troisième République
Française, cependant que Paul Fort, prince des poètes, visite ses
peuples des régions les plus reculées de la Scythie, et qu’étendu
sur un divan du salon où je me tiens, mon ami André Billy ronfle
avec art.
Guillaume
Apollinaire, « Arthur roi passé, roi futur », in « La
vie anecdotique », Mercure de France,
16 avril 1914 ; repris dans Le poète assassiné,
Bibliothèque des Curieux, L'Edition, 1916.
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