Le 18 janvier 1907, on trouve en première page du Journal de Seine-et-Marne un texte anonyme intitulé "Une vision" qui envisage l'avenir de l'Eglise sous un jour plutôt anticlérical.
UNE
VISION
Château
de la Muette, à l’orée du Bois de Boulogne, quatre-vingts prélats
sont assemblés pour décider à quelle sauce on doit accommoder
l’Eglise de France, mise à mal par un pape allemand. Des fauteuils
soyeux ont reçu en gémissant de lourdes assises épiscopales ;
des mets élégants, servis dans la vaisselle somptueuse ont
chatouillé les palais délicats des princes de l’Eglise dont les
yeux ont promené la rêverie digestive, au-delà des pelouses
seigneuriales, vers les coteaux bleutés de Suresnes.
Dans
cette assemblée violette où les lettres ne sont pas rares, quelques
raffinés s’isolant du monde par un effort de leur imagination, ont
sans doute évoqué l’histoire et fait revivre, pour un instant,
les orgies royales qui laissent sur les pelouses de la Muette comme
des relents d’ivresse et d’amour. Ils ont revu les Marguerite de
Valois et de Navarre avec leurs cours de galants ; la trop fameuse
duchesse de Berry qui la voulait « courte et bonne » ;
les débauches crapuleuses de Louis XV et le triomphe de la Dubarry
que son royal amant donnait pour chaperon à Marie-Antoinette, la
future femme de son petit-fils et reine de France.
Ils
évoquèrent tout cela nos prélats et puis aussi la Révolution
grandiose qui de son souille populaire, purifiant toutes ces
infamies, jeta par terre le fatras des vieux mondes. Et tout d’un
coup, le voile qui leur cachait l’avenir, se déchira.
Ils
se virent, dans un siècle, sortant de leurs sépulcres blanchis pour
secouer leur poussière à l’ordre du souverain pontife,
recommencer la lutte contre les lois de leur pays et tenter
d’étouffer la raison sous les éteignoirs de la foi. Hélas !
le souverain pontife était, lui aussi, entré dans la légende :
les évêques de l’an 1950 l’avaient renversé comme un simple
usurpateur dont l'insupportable tyrannie avait failli compromettre le
Christ lui-même ; les fidèles, maintenant revenus aux
traditions primitives de l’Eglise, nommaient les évêques choisis
parmi les plus dignes et les moins intrigants ; les prêtres
vivaient tous de la vie du peuple en prêchant la paix, la tolérance
et la liberté. La religion, dépouillée de ses dogmes enfantins,
n’était plus qu’une forme de la morale humaine, et réunissait,
à ce titre, l’universalité des croyances !
Ainsi
devant les yeux d’une douzaine de prélats intelligents, apparut la
claire vision de l’avenir, pendant que le saint aréopage discutait
sur l'opportunité d’une déclaration légale.
Les
derniers échos des orgies royales se perdirent à jamais dans les
premiers grondements de la Révolution. La Muette rentra dans le
silence et la royauté dans la mort.
Mauvais
présages ! le clergé compte aussi ses parias, ouvriers de la
prière qui n’ont point part au gras butin des chanoines : ils
murmurent contre l’omnipotence et la désinvolture de la richesse
cléricale en attendant, comme le peuple autrefois, que se lève
aussi pour eux le soleil de la justice.
Anonyme,
« Une vision », Journal de Seine-et-Marne, n°
6344, Meaux, 18 janvier 1907.
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