L'action de Ces choses qui seront vieilles se situe en 2019. Henriette Charasson en donne un résumé (même si elle situe l'anticipation en 2018) et une critique dans Le Rappel du 5 janvier 1920:
Ce
n'est pas sur sa philosophie sociale qu'il faut juger le livre de Mme
Faure-Favier (vis-à-vis duquel ma maladie m'a mise bien en retard) :
à ce point de vue, les amateurs d'anticipations seraient déçus.
Pour savoir peindre la vie telle qu'elle
sera dans un
siècle,
après les convulsions qui se préparent, après les révolutions
économiques que peuvent amener en cent ans les découvertes
scientifiques auxquelles il, faut s'attendre (calculez le déplacement
opéré dans tout l'univers,
aussi bien politique qu'économique, par l'introduction du machinisme
!), il aurait fallu joindre à l'imagination créatrice toute la
science et tout le sens sociologique, toutes les facultés de
reconstruction et d'induction du savant auteur des Responsabilités
de Denis Papin (1) et ce genre d'études n'est guère le propre d'une
femme ; mais c'est par d'autres qualités que se distingue
Louise Faure-Favier, auteur déjà d'un joli recueil : Six
contes et deux rêves.
L'originalité de son charmant et ingénieux roman, ce n'est pas tant
de vouloir nous présenter la vie telle qu'elle sera dans un siècle
que de nous montrer de quel œil gentiment ironique ou
mélancoliquement envieux nos
descendants,
dans cent années, pourront regarder notre époque. Ces
choses qui seront vieilles...,
c'est celles qui font notre vie maintenant et dont il nous est aussi
difficile de croire qu'elles ne soient pas réellement immuables,
qu'il est difficile à un vivant bien portant, de concevoir
réellement la
mort. Mme Louise Faure-Favier dessine deux amoureux de l'an
2018, qui
découvrent le secret d'amour de l'arrière-grand-père de l'un
d'eux, et la confrontation,
de ces deux vies amoureuses, de ces deux façons d'aimer, ne
manque,
malgré un peu d'arbitraire, ni de
saveur
ni de charme ; il y a là des détails piquants, pittoresques et
délicats, des notations d'une indéniable grâce féminine.
Cependant, je ne pourrai m'empêcher
de chercher
querelle à Louise Faure-Favier qui, opposant son Aline moderne aux
femmes du passé, nous la présente « droite et loyale comme un
homme. » D'abord, je n'ai pas encore vu que l'homme
soit plus droit et plus loyal que la femme ;
c'est
un bruit qu'il a voulu faire courir mais qui n'est pas fondé ;
il y a dans les deux sexes des menteurs et 'il y a des êtres
honnêtes ; mais si l'un
des deux ment et trompe plus souvent que l'autre, c'est bien celui
qui pouvait, puisque les conventions sociales lui
permettaient plus de liberté, prendre l'habitude de la loyauté.
Ensuite, cette jeune femme qui « excellait à réaliser
l'honnête liberté dans le mariage, ou plutôt cette
élasticité des relations qui assure la durée du bonheur
conjugal », cette épouse qui prétend, en 2018, que « la
femme de maintenant a un sens de l'honneur plus viril », nous
donne immédiatement le sens qu'elle accorde à « l'honneur
viril » en prenant un amant ; j'avoue que je ne vois pas
en quoi cette pratique de l'adultère — et sans que son mari s'en
doute,
bien entendu ! — cette façon de concilier les agréments que
procurent un mari savant, considéré, qui lui fournit un travail qui
lui plaît, et un amant plein de poétique fantaisie, indiquent un
« sens de l'honneur » et une « droiture »,
une « loyauté »
plus caractérisée que chez la femme du XXe siècle.
A
suivre Mme Faure-Favier, quand M. de Tyane, l'amant de 2018, oppose
sans cesse son Aline moderne à la Pascaline de l'aïeul, on pourrait
croire qu'au XIXe et au XXe
siècles toutes les femmes étaient sentimentales au point de quitter
mari, foyer et situation pour suivre, l'amant aimé, et que c'est
parce qu'elle montre plus de « raison » qu'Aline se
distingue d'elles. Je crois que de tout temps, il a existé des
femmes plus tendres, avec des besoins plus romanesques que d'autres —
et des hommes aussi ! — Je crois
qu'il en existera toujours et que le fond de la nature humaine est
éternel, quels que soient les changements des civilisations. Sans
doute, il y eut toujours des amoureuses qui, par loyauté, par
égoïsme ou par romantique exaltation, quittaient le mari trompé
pour suivre l'amant peu sûr, mais les calculs pratiques qu'on nous
présente chez Aline tantôt comme le nouvel apanage de la femme
moderne, tantôt comme une marque de bon sens et de pondération, on
les a toujours rencontrés chez la plupart des épouses adultères,
et sans songer à les regarder comme une caractéristique nouvelle,
et sans y découvrir de la droiture et un viril honneur. Un pacte est
un une promesse est une promesse. un contrat est un contrat,
et celle ou celui qui y manque n'est pas loyal : c'est justement
par les engagements qu'il comporte que le mariage se distingue de
l'amour libre.
L'héroïne de Mme Faure-Favier eût été plus significative des
changements que le sentiment
de l'indépendance apportera,
selon la romancière, au cœur
féminin,
si elle
l'avait fait
célibataire, vivant en
dehors de tout lien conjugal, d'un travail intéressant, et, refusant
de sacrifier sa liberté pour s'unir durablement à son amant. C'est
alors que nous eussions bien conçu; par contraste, cette sorte de
sécheresse de cœur dont elle veut que soient douées les femmes de
l'avenir, puisque, de nos jours encore. la femme la plus éprise de
son indépendance est prête à la sacrifier, à bouleverser tout
dans sa vie dès qu'elle a rencontré l'amour.
Mme
Faure-Favier semble croire aussi que l'habitude d'un travail
personnel empêchera la femme de « rester femme » ;
je la renvoie à ce propos au récent article de Colette Yver dans Le
Correspondant
du 25 décembre, où, sans parti pris, sans préjugé, et en alliant
au respect de la tradition le juste sens des nécessités actuelles,
Colette Yver nous prouve qu'avec une intelligente éducation qui
sache continuer à développer en elle le sens atavique de
l'abnégation, la jeune fille la plus apte à se tirer d'affaires
seule, la
plus habituée à prendre ses responsabilités, saura rester une
amoureuse et une tendre épouse. Enfin, je reproche à la société
future, telle que la conçoit Mme Faure-Favier, d'être une société
où l'on ne voit pas la place de l'enfant. Que deviendraient les
enfants dans la vie d'une Aline Ferrières
(qui ne nous est pas présentée comme une exception), avec ses
occupations dans les
deux hémisphères, les divers appartements –-conjugaux ou « de garçon » — du ménage, et jusqu'aux modes qui ne semblent pas prévoir lu possibilité d'une « position intéressante » ? J'avoue que j'ai poussé un soupir de soulagement en apprenant qu'en l'été 2018 on décidait à porter enfin la culotte un peu bouffante, car je me demandais avec angoisse comment, avec cet uniforme, d'une culotte « presque collante » adoptée universellement par les femmes, s'y prenaient les malheureuses avant conservé le désir de la maternité !
Comment Mme Faure-Favier, qui est une jolie femme très élégante — intelligente et raisonnable par surcroît — peut-elle voir ainsi l'avenir ? Comment peut-elle croire que les femmes se masculiniseront jamais jusqu'à la culotte et aux cheveux courts, immuablement ? Supprimera-t-on jamais l'instinct de plaire ? Qu'elle se rappelle donc le début de l'Ile des Pingouins ! Celle qui se risquerait alors à reprendre la jupe aurait bientôt, même mal faite, tous les hommes après soi...
deux hémisphères, les divers appartements –-conjugaux ou « de garçon » — du ménage, et jusqu'aux modes qui ne semblent pas prévoir lu possibilité d'une « position intéressante » ? J'avoue que j'ai poussé un soupir de soulagement en apprenant qu'en l'été 2018 on décidait à porter enfin la culotte un peu bouffante, car je me demandais avec angoisse comment, avec cet uniforme, d'une culotte « presque collante » adoptée universellement par les femmes, s'y prenaient les malheureuses avant conservé le désir de la maternité !
Comment Mme Faure-Favier, qui est une jolie femme très élégante — intelligente et raisonnable par surcroît — peut-elle voir ainsi l'avenir ? Comment peut-elle croire que les femmes se masculiniseront jamais jusqu'à la culotte et aux cheveux courts, immuablement ? Supprimera-t-on jamais l'instinct de plaire ? Qu'elle se rappelle donc le début de l'Ile des Pingouins ! Celle qui se risquerait alors à reprendre la jupe aurait bientôt, même mal faite, tous les hommes après soi...
Mais
ce sont là
détails
de peu d'importance, qui n'ôtent presque rien au charme littéraire
du récit, dont on goûtera surtout le « Journal de Pascaline »
— la pauvre
amoureuse
abandonnée de 1914. Nous revoici clans l'humanité véritable. Ces
pages auxquelles Louise Faure-Favier a su vraiment
donner l'accent d'une confession intime, d'un sincère cri du cœur,
sont les meilleures qu'elle ait écrites, elles
ont un abandon, une simplicité,
quelque chose
de naïf et de déchirant
qui touche et qui suffirait à expliquer le succès de son livre.
(1)
Voir
les Lettres de Juillet : « Les Responsabilités de Denis
Papin ou les antinomies insolubles du monde moderne » par René
Johannet.
Henriette
Charasson, Critique de Ces
Choses qui seront vieilles,
de Louise Faure-Favier, La Renaissance du Livre, 1919,
in Le
Rappel,
5 janvier 1920
Ce billet fait partie d'une série consacrée à l'année 2019 vue par les auteurs du passé (prophétie, anticipation, prospective). Pour retrouver tous les billets de cette série, cliquez ICI
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