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ISSN 2496-9346

dimanche 20 juin 2021

Une réponse à Edward Bellamy : William Morris, Nouvelles de Nulle Part (1890) 2/4

En 1888, Edward Bellamy publie Looking Backward traduit dès 1891 en français sous le titre Cent ans après ou l'An 2000. L'ouvrage est un immense succès (il est le troisième livre le plus vendu aux Etats-Unis pour tout le XIXe siècle).
De nombreux auteurs répondent à Edward Bellamy, proposant des utopies moins autoritaires que Looking Backward ou des dystopies.

La plus connue de ces réponses est sans doute Nouvelles de Nulle part. Une ère de repos (News from Nowhere, or an Epoch of Rest, 1890) de William Morris. Des extraits sont parus dans la revue La Société nouvelle en 1892.

A son tour, Edward Bellamy répond à ses détracteurs avec Equality (Egalité) en 1897 qui est considéré comme l'"expression définitive de sa vision utopique" (le texte n'a été traduit qu'une fois en 1900 et n'avait jamais été publié sous la forme d'un volume avant l'édition dans la collection ArchéoSF disponible ICI).

A la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, plusieurs auteurs ont proposé des utopies se déroulant non pas dans un non-lieu mais dans un avenir plus ou moins lointain comme H-G. Wells avec Une Utopie moderne ou Jean Grave avec Terre libre.

ArchéoSF propose les quatre premiers chapitres de Nouvelles de Nulle part tels qu'ils ont été traduits en 1902 en quatre épisodes dont voici le second. Pour lire le premier épisode, cliquez ICI.

CHAPITRE II
Un bain de matin.

Donc, je me réveillai et m’aperçus que j’avais rejeté mes draps; à cela il n’y avait rien
d’étonnant, car il faisait chaud et le soleil luisait glorieusement. Je sautai de mon lit, me lavai et mis en hâte mes vêtements, mais encore quelque peu troublé, à moitié réveillé, comme si j’avais dormi pendant très, très longtemps; je ne pouvais parvenir à secouer le poids du sommeil. De fait, j’admis plutôt comme une vérité que j’étais chez moi, que je ne le vis réellement.

Quand je fus habillé, je trouvai qu’il faisait si chaud que je me hâtai de sortir de la chambre et de la maison; ma première sensation fut un délicieux sentiment de soulagement causé par l’air frais et par une agréable brise; ma seconde impression, quand je commençai à rassembler mes esprits, fut un incommensurable étonnement, car c’était l’hiver quand je m’étais couché la nuit passée et maintenant, s’il fallait en croire le témoignage des arbres du bord du fleuve, c’était l’été, une belle et brillante matinée paraissant être un des premiers jours de juin. Cependant la Tamise était toujours là étincelant sous le soleil et presque à marée haute, comme je l’avais vue la nuit passée rayonnant sous la lune.

Je n’avais aucunement pu secouer le sentiment d’oppression qui m’accablait et n’importe où j’eusse été j’aurais à peine été conscient de la place où je me trouvais; aussi il n’était pas étonnant que je me trouvasse un peu embarrassé en dépit de l’image familière de la Tamise. D’ailleurs, je me sentais distrait et singulier et me rappelant que les gens prenaient souvent une barquette et allaient nager au milieu du courant, je pensai que je ne pouvais faire mieux.

Il paraît être bien tôt, me disais-je à moi-même, mais j’espère que je trouverai quelqu’un chez Riffins pour me prendre.

Cependant, je n’eus pas à aller jusque Riffins, ni même à tourner à gauche dans cette direction, car juste à ce moment-là je m’aperçus qu’il y avait un débarcadère droit devant moi, en face de ma maison.

En effet, ce débarcadère se trouvait à la place où mon voisin en avait établi un, mais celui que je voyais ne ressemblait pas au débarcadère ordinaire. J’y descendis néanmoins; au milieu des barquettes vides amarrées un homme était couché sur les avirons dans une solide barquette; il était évidemment là pour les baigneurs. Il inclina la tête vers moi et me dit bonjour comme s’il m’eut attendu; je sautai dans sa barque sans prononcer aucune parole et il s’éloigna ramant tranquillement, pendant que j’ôtai mes vêtements pour me mettre à nager. Comme nous avancions, je regardais l’eau et ne pus m’empêcher de dire : « Comme l’eau est claire ce matin ! » « L’est-elle tant que cela ? dit mon conducteur. Je ne l’ai pas remarqué; vous savez, le flux de la mer la trouble toujours un peu. »

« Hum, disais je, je l’ai vue bien boueuse, même quand la marée basse n’est qu’à mi-chemin. »

Il ne répondit rien, mais sembla un peu étonné. Comme il se maintenait à présent juste contre le courant et que j’avais ôté mes habits, je sautai dans l’eau sans plus de cérémonie. Quand je revins à la surface je me retournai dans la direction du courant et mes yeux naturellement cherchèrent le pont; mais je fus si extrêmement étonné par ce que je vis, que j’oubliai de jeter les bras en avant et que je descendis de nouveau sous l’eau en faisant rejaillir l’eau à la surface; quand je fus remonté, j’allai droit vers la barquette, car je désirais poser quelques questions à mon batelier, tellement ce que j’avais entr’aperçu de l’aspect du fleuve, à travers l’eau qui ruisselait sur mes yeux, m’avait stupéfait, quoique je fusse maintenant débarrassé de toute somnolence et de ce sentiment de vertige; j’étais à présent entièrement réveillé et l’esprit très lucide.

Je montai les marches qu’il avait descendues et il étendit la main pour m’aider. Nous étions alors entraînés rapidement vers Chiswick, mais il saisit les avirons et, retournant la proue de la barque, il me dit :

« Une courte baignade, voisin, mais peut-être trouvez-vous l’eau froide ce matin, après votre voyage. Vous déposerais-je au bord tout de suite, où voudriez-vous aller jusqu’à Putney avant de déjeuner ? »

« Il parlait d’une manière si différente de ce que j’aurais pu attendre d’un batelier de Hammersmith, que je le fixai en lui répondant : « Maintenez un instant la barque, s’il vous plaît, je voudrais regarder un peu autour de moi ». « Parfaitement, dit-il, il ne fait pas moins beau ici qu’à Barn Elms. Il fait agréable partout à cette heure de la matinée; je suis content que vous vous soyez levé de bonne heure : il est à peine cinq heures. » Si j’étais étonné de l’aspect des bords de la rivière, je ne l’étais pas moins de celui de mon batelier, maintenant que j’avais le temps de le regarder et de l’observer, maintenant que mes idées et mes yeux s’étaient éclairés.

C’était un beau jeune homme, ayant un regard particulièrement agréable et amical, et une expression tout à fait nouvelle pour moi alors, quoique je me familiarisasse vite avec elle. Pour le reste, il avait les cheveux foncés et la peau brune comme une groseille; il était bien fait et solide, les muscles visiblement exercés, mais sans rien de rude ou de vulgaire et il était aussi propre que possible; ses vêtements ne ressemblaient pas du tout aux vêtements des ouvriers de nos jours, mais auraient très bien pu servir pour un costume dans un tableau de la vie du XIVe siècle. Ils étaient de drap bleu foncé, assez suffisamment simples, mais d’un tissu fin et sans une tache. Une ceinture de cuir brun lui ceignait la taille et je remarquai que la boucle qui la fermait était en acier damasquiné superbement travaillé.

Bref, ce semblait être un jeune gentleman viril et distingué, jouant au marin par divertissement et je conclus que c’était le cas. Je compris que je devais faire un peu de conversation. Je montrai la rive du comte de Surry, où j’observais quelques légers escaliers en planche descendant vers l’eau et portant des vindas à leur sommet.

« Qu’est-ce qu’ils font avec ces choses-là ? Si nous étions sur le Tay, je dirais qu’on les a placés là pour porter les filets pour prendre le saumon, mais ici ? »

« Eh bien ? répondit-il, souriant, c’est en effet pour cela qu’ils y sont; où il y a du saumon, doivent se trouver vraisemblablement des filets pour le prendre. Que ce soit sur le Tay ou sur la Tamise : mais naturellement ils ne sont pas toujours en usage ; nous n’avons pas besoin de saumon tous les jours de la saison. »

J’allais dire : « Mais ceci est-il bien la Tamise ? » mais je retins mon étonnement et tournai mes regards ahuris vers l’est pour voir encore le pont et de là je regardai vers les rives de la rivière de Londres; et certainement, il y avait bien là de quoi m’étonner, car quoiqu’il y eût un pont par-dessus le fleuve et des maisons sur les bords, combien tout était changé depuis la nuit passée ! Les usines de savon avec leurs cheminées vomissant de la fumée avaient disparu; les ateliers de machines avaient disparu, les ateliers de plomb disparus; et aucun bruit d’enclume ou de marteau n’était apporté par le vent de l’ouest, de chez Thormeyerof. Et quant au pont, j’avais peut-être rêvé d’un pont pareil, mais jamais je n’en avais vu un semblable, si ce n’est dans un manuscrit enluminé; car, pas même le Ponte Vecchio, à Florence, ne l’approchait de loin. Il était fait d’arches en pierres, splendidement solide, assez haut pour laisser passer facilement le trafic ordinaire de la rivière. Par-dessus le parapet apparaissaient de petits édifices bizarres et pleins d’imagination, que je pris pour des baraques ou des boutiques; ils étaient décorés de girouettes et de flèches peintes et dorées. La pierre montrait un peu les ravages du temps, mais ne montrait pas les traces de la pénétration de la suie, que j’étais habitué de voir sur chaque édifice de Londres vieux de plus d’un an. Bref, à mon avis, un merveilleux pont.

Le rameur observait mes regards de vif étonnement et me dit, comme en réponse à mes pensées : « Oui, c’est un beau pont, n’est-ce pas ? » Même les ponts en amont du courant qui sont beaucoup plus petits, sont à peine plus délicats et ceux en aval sont à peine plus dignes et majestueux !

Je me surpris à dire presque malgré moi : « De quand date-t-il ? » « Il n’est pas très vieux, répondit-il ; il fut construit ou du moins ouvert à la circulation en 2003. Autrefois il y avait là un pont en bois assez simple. »

Cette date me fermait la bouche, comme si une clef avait été retournée dans un cadenas fixé à mes lèvres, car je voyais que quelque chose d’inexplicable était arrivé et que, si je disais plus, je serais embarrassé dans un chassé-croisé de questions et de réponses entortillées. Aussi j’essayais d’avoir l’air indifférent et de regarder d’un air simple, bien que dans la direction du pont et un peu au delà, c’est-à-dire aussi loin que les emplacements des ateliers de savon, je visse ceci : Les deux rives avaient une ligne de très jolies maisons basses et larges, placées un peu en arrière de la rivière; elles étaient presque toutes bâties de briques rouges avec des toits de tuiles et avaient l’air avant tout confortables et comme si elles étaient pour ainsi dire vivantes et sympathiques comme la vie des habitants qu’elles contenaient. Il y avait devant chacune d’elles un jardin descendant vers les bords de l’eau; dans ces jardins les fleurs épanouissaient leur floraison luxuriante, envoyant de délicieuses bouffées de parfums d’été par-dessus le fleuve tourbillonnant. Derrière les maisons, je voyais apparaître de grands arbres, presque tous des platanes et regardant dans l’eau, les bords de la rivière, filant en ligne droite vers Putney, semblaient un lac bordé d’une forêt, tant ces grands arbres étaient serrés et je dis tout haut, mais comme à moi-même :

« Eh bien, je suis content qu’ils n’aient pas bâti au delà de Barn Elms. » Je rougis de ma fatuité, quand ces mots me furent tombés de la bouche, et mon compagnon me regardait avec un demi-sourire que je crus comprendre; aussi, pour cacher ma confusion, je dis : « S’il vous plaît, conduisez-moi au bord maintenant, j’ai besoin de prendre mon déjeuner. Il s’inclina, fit avancer la barque d’un grand coup d’aviron et en un clin d’œil nous étions de retour au débarcadère. Il sauta hors de la barque et je le suivis naturellement; je n’étais pas surpris de le voir attendre pour recevoir l’inévitable pièce qui suit tout service rendu à un concitoyen. Donc, je mis la main dans la poche de mon gilet et dis : « Combien ? » quoique toujours avec ce sentiment désagréable, que peut-être j’offrais de l’argent à un gentleman.

Il semblait embarrassé et reprit : « Combien ? Je ne comprends pas bien ce que vous demandez ? Voulez-vous parler de la marée ? Si c’est cela, elle est près de changer maintenant. »

Je rougis et bégayai : « S’il vous plaît, ne prenez pas de mauvais part ce que je vous demande; je ne veux pas vous offenser, mais qu’est-ce que je vous dois ? Vous voyez, je suis un étranger et je ne connais ni vos coutumes, ni vos monnaies. »

Et en même temps je tirais une poignée d’argent de ma poche, comme quelqu’un fait quand il se trouve dans un pays étranger. Et à ce propos, je vis que l’argent était oxidé et noir comme un poêle frotté de mine de plomb.

Il semblait toujours étonné et pas du tout offensé, et il regardait les monnaies avec quelque curiosité. Je pensais : Eh bien, après tout, c’est un matelot et il considère ce qu’il pourrait prendre. Il semblait un si charmant garçon, que je suis certain que ce n’était pas à contre-cœur que je le payais un peu trop. Je me demandais justement si je ne pouvais pas l’engager comme guide pendant quelques jours, en le voyant si intelligent.

« Je crois que je comprends ce que vous voulez dire. Vous pensez que je vous ai rendu un service; ainsi vous vous croyez tenu à me donner quelque chose que je ne dois pas partager avec mon voisin, à moins qu’il n’ait fait quelque chose de spécial pour moi. J’ai entendu parler de ces sortes de choses; mais, pardonnez-moi de le dire, cela nous semble une gênante coutume et nous ne savons pas comment l’arranger. Et comme vous le voyez : faire passer l’eau aux gens et les conduire sur l’eau est ma besogne que je remplirai pour n’importe qui ; aussi, accepter quelque chose pour cela semblerait bizarre d’ailleurs. Et plus, si une personne me donnait quelque chose, une autre pourrait le faire aussi et une autre et ainsi de suite ; et j’espère que vous n’allez pas me croire grossier, si je vous dis que je ne saurais où mettre tant de « souvenirs d’amitié ».

Et il riait bruyamment et gaiement comme si l’idée d’être payé pour son travail était une plaisanterie très gaie. Je confesse que je commençais à craindre que cet homme ne fût fou, quoiqu’il parût sain d’esprit et je fus heureux en pensant que j’étais bon nageur, car nous étions près d’un profond et rapide courant. Cependant, il continuait à parler pas du tout comme un fou : « Quant à vos pièces, elles sont très curieuses mais pas très anciennes; elles paraissent toutes être du règne de Victoria; vous pouvez les donner à un musée pauvrement pourvu. Le nôtre a assez de ces pièces; de plus, une belle quantité de plus anciennes, dont beaucoup sont belles, tandis que celles du XIXe siècle sont si bêtement laides, n’est-ce pas ? Nous avons une pièce d’Édouard III, représentant le roi dans un bateau avec de petits léopards et des fleurs de lys tout autout du bord, si délicatement travaillée. Vous voyez, dit-il avec un léger sourire d’orgueil, j’aime tant à travailler l’or et les métaux fins; cette boucle est une de mes premières œuvres ».

Sans doute je l’avais regardé avec un peu de méfiance, sous l’influence du doute où j’étais de l’état de son esprit. Il s’arrêta net à cause de mon regard et me dit d’un ton aimable : « Mais je crois que je vous ennuie et je vous demande pardon. Pour ne pas entrer dans les détails, je vois bien que vous êtes un étranger et devez venir d’un pays bien différent de l’Angleterre. Mais il est clair qu’il est inutile aussi de vous donner trop de renseignements concernant cette place, et vous feriez mieux de vous assimiler ces choses peu à peu. En outre, je le prendrai pour une bonté de votre part si vous vouliez me permettre d’être votre guide dans notre nouveau monde, puisque vous m’avez rencontré le premier, quoique en vérité ce serait une pure bonté de votre part, car presque tout le monde ferait un aussi bon guide que moi, et plusieurs beaucoup mieux ».

Il n’y avait rien là qui fit croire qu’il sortait de la maison de santé de Colney-Hasch; et puis je pensais que je pouvais facilement me débarrasser de lui si je voyais qu’il était réellement fou; aussi je lui dis : « C’est une très aimable offre, mais il est difficile pour moi d’accepter, à moins… » J’étais sur le point de dire : « A moins que vous me permettiez de vous payer convenablement; » mais, de crainte d’exciter sa folie de nouveau, je changeai la phrase en : « J’ai peur de vous empêcher de faire votre ouvrage ou de vous livrer à vos amusements ». « Oh ! répondit-il, ne vous inquiétez pas, cela me donnera l’occasion de rendre service à un de mes amis qui désire prendre ma besogne ici. C’est un tisserand de Yorkshire, qui s’est fatigué un peu et de son métier de tisserand et de ses études mathémathiques; l’un et l’autre sont des travaux d’intérieur, voyez-vous; et comme il est mon grand ami, il est venu naturellement chez moi pour me demander de lui trouver quelque travail en plein air. Si vous croyez que vous pouvez le faire, je vous prie, prenez-moi comme guide ! » Après une petite pose, il ajouta : « Il est vrai que j’avais promis de remonter le courant pour aller voir quelques amis intimes, pendant la fenaison; mais ils ne seront pas disposés à nous recevoir d’ici à une semaine, et puis, vous pouvez y venir avec moi, vous verrez des gens très aimables, et vous pourrez de plus prendre note de nos coutumes dans le Oxfordshire. Vous ne pourriez pas faire mieux si vous voulez voir le pays. »

Je me sentais obligé de le remercier, n’importe ce qui arriverait; et il ajouta vivement :

« Bien, alors, c’est une affaire arrangée. Je vais appeler mon ami; il habite dans la même Maison des hôtes que vous, et s’il n’est pas encore levé, il devrait l’être par cette belle matinée d’été. »

En même temps, il prit à sa ceinture une petite corne en argent et en fit sortir deux ou trois notes aiguës mais agréables; et bientôt de la maison qui se trouvait désormais à la place qu’occupait mon ancienne demeure, un autre jeune homme sortit et vint vers nous en flânant.

Il n’était pas si beau ni d’un tempérament aussi vigoureux que mon ami le batelier; la couleur de ses cheveux rappelait celle du sable, il était un peu pâle et pas solidement bâti; mais sa figure ne manquait pas cette heureuse et aimable expression que j’avais observée chez son ami. Comme il venait vers nous en souriant, je vis avec plaisir que je devais abandonner la théorie de la folie au sujet du marin, car jamais deux fous ne se conduisirent devant un sain d’esprit comme eux le firent. Son habillement était de la même coupe que celui du premier, quoique dans une note un tant soit peu plus gaie, le surtout étant vert clair brodé sur la poitrine d’un liséré d’or, et sa ceinture faite de filigrane d’argent. Il adressa un bonjour très civil et saluant son ami joyeusement, il dit :

« Eh bien, Dick, qu’est-ce qu’il y a ce matin ? Aurai-je mon ouvrage, ou plutôt ton ouvrage ? Je rêvais la nuit passée que nous étions sur la rivière en train de pêcher. »

« All right, Bob », répondit mon rameur; « tu vas descendre ici à ma place, et si tu trouves le travail trop fatigant, il y a George Brighton, qui ne regarde pas à donner un coup d’épaule, et tu l’as sous la main. Mais voici un étranger qui veut me distraire aujourd’hui en me prenant pour le guider dans notre campagne, et tu peux t’imaginer que je ne veux pas perdre cette occasion. Ainsi tu feras mieux de prendre la barquette tout de suite. Mais, dans tous les cas, tu n’en jouiras pas longtemps, puisque je dois aller dans les champs de foin dans quelques jours. »

Le nouveau venu se frottait les mains avec joie; mais se tournant vers moi, il disait d’une voix amicale :

« Voisin, vous deux, vous et l’ami Dick, êtes heureux car vous aurez du beau temps aujourd’hui, comme moi aussi, du reste. Mais vous feriez mieux maintenant d’entrer avec moi tous deux et prendre quelque chose à manger, de peur que vos amusements vous fassent oublier votre dîner. Je suppose que vous êtes arrivé dans la Maison des hôtes après que j’étais couché la nuit dernière ? »

J’inclinais la tête, ne me souciant pas d’entrer dans une longue explication qui n’aurait abouti à rien, et dans laquelle, en vérité, j’aurais commencé à douter maintenant de moi-même. Et tous les trois nous nous dirigeâmes vers la Maison des hôtes.

 

A lire:

Edward Bellamy, Egalité, collection ArchéoSF, éditions publie.net, 2021 (disponible en format papier et format numérique).

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