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ISSN 2496-9346

mercredi 24 août 2011

Communiquer avec Mars

Dans sa "Causerie" du 17 juin 1900, Jacques Mauprat entretient les lecteurs du Progrès illustré des possibilités de communiquer avec les habitants de la planète Mars et des questions que soulèveraient les échanges entre les deux mondes. Le sérieux scientifique (on croit encore possible une vie martienne assez comparable à celle de la Terre) le dispute à la fantaisie dans ce petit texte.

Depuis quelque temps les astres semblent jouer à cache-cache. Il y a trois semaines c'était le soleil qui, par un bel après-midi, se livrait à ce petit jeu, et dans la nuit de mardi à mercredi dernier la lune s'offrait à son tour le même amusement. Cette fois par exemple l'éclipse a été plus complète qu'on ne pensait, un épais rideau de nuages nous ayant masqué complètement les péripéties du phénomène, peu important d'ailleurs et qui au surplus n'aurait pu être observé qu'avec de puissants instruments d'optique, ce qui nous a permis de ne pas partager les regrets que les astronomes ont dû éprouver de ce contre- temps.

Mais enfin, l'éclipse annoncée s'est produite tout de même, et l’'on a pu vérifier ailleurs l'exactitude des formules servant à prédire les mouvements célestes, et cela nous suffit. La science astronomique est une belle chose ; avec elle il n'y a pas de surprise ; ce qu'elle annonce se réalise ponctuellement, à la minute, à la seconde même; il n'y a pas d'exemple qu'un astre se soit permis de déjouer les calculs des astronomes et de manquer, ne fût-ce que d'un instant, au rendez-vous qu'ils lui avaient assigné. Que de gens n'en pourraient dire autant!

Par contre, on nous a fait depuis quelques années une promesse qui ne s'est pas réalisée encore. On nous avait promis la lune a un mètre ; mais quelle que soit la puissance des instruments qui devaient nous rendre témoins de ce merveilleux spectacle il ne paraît pas qu'on ait sensiblement approché du résultat attendu. Ce sera donc pour plus tard, si toutefois on y arrive jamais, ce qui n'est pas prouvé du tout.

En attendant cet heureux jour où on pourra voir, comme si on y était, ce qui se passe dans notre satellite, d'autres savants s'occupent de recherches bien plus curieuses encore, et l'un d'eux ne parle rien moins que d'établir des communications entre la Terre et la planète Mars.

Convaincu que cette dernière planète est habitée par des êtres d'une intelligence au moins égale à la nôtre, il a entrepris une série d'écrits et de conférences afin de développer cette idée, et il cherche à réunir une souscription pour réaliser son projet. De vastes triangles lumineux seraient établis sur certains points ; les Martiens, s'il y en a, verraient ces figures géométriques, et comme ils ne doivent pas être en retard sur nous pour les sciences exactes, ils comprendraient et nous répondraient par des signaux analogues. On leur ferait alors des signaux d'une autre forme, ils continueraient à comprendre, et ainsi s'établirait entre eux et nous un nouveau système de télégraphie sans fil. De là à leur transmettre des dépêches pour savoir le temps qu'il fait chez eux et tout ce qui s'y passe d'intéressant, il n'y aurait qu'un pas, qui serait vite franchi.

Voyez-vous nos grands quotidiens publiant régulièrement des nouvelles de la planète Mars ! Les mieux informés n'hésiteraient pas à s'y faire représenter par des correspondants particuliers qui nous tiendraient au courant de tous les événements importants dont ce monde lointain doit être le théâtre. Le paiement des appointements n'irait pas sans offrir quelque difficulté, faute d'un service des postes interplanétaire ; mais il serait aisé de tourner la difficulté ; ces correspondants seraient rétribués au moyen d'un échange équivalent d'informations, et ils n'auraient plus dès lors qu'à porter leur bonne copie aux journaux de là-haut, qui s'empresseraient d'accueillir toutes les nouvelles de nature à plaire à leurs lecteurs.

Les correspondants actifs pourraient se faire de jolis appointements avec ce travail, car il est bien certain que les dépêches, ainsi transmises à travers l'espace, seraient lues avidement des deux côtés, dans les premiers temps surtout, à cause de la nouveauté du fait. Et comme nous sommes mutuellement très mal renseignés sur ce qui se passe dans nos deux mondes, on aurait joliment de choses à se dire pour se mettre au courant de tout.

D'abord, comment sont-ils faits, ces bons Martiens? Ont-ils comme nous le nez au milieu du visage ? Portent-ils des vêtements ou vont-ils complètement nus ? Quelle est leur forme préférée de gouvernement ? Ont-ils comme nous des femmes charmantes qui les adorent... ou qui les trompent ? Ils ont l'air... martial, naturellement, mais sont-ils batailleurs ou pacifiques? Question intéressante à trancher, car il s'agirait tout d'abord de savoir si nous avons eu tort ou raison de les placer sous l'égide du dieu de la guerre.

Aiment-ils le spectacle, la comédie, la musique ? S'adonnent-ils aux apéritifs ? Ont-ils des chevaux pour traîner leurs fiacres, ou font-ils de l'automobilisme, et alors écrasent-ils aussi fréquemment leurs concitoyens qu'on le voit chez nous ? Les femmes enfin portent-elles la culotte, ou si c'est le sexe barbu? Mais au fond, les Martiens ont-ils seulement de la barbe ?

Autant de questions importantes auxquelles nous les prierions de répondre, tout en nous mettant à leur disposition pour tous renseignements dont ils auraient besoin pour être bien et dûment fixés sur notre compte. Faisons donc des vœux ardents pour la réalisation de l'admirable projet dont nous venons de faire miroiter les nombreux agréments, et, en attendant, laissons tourner le monde.

Jacques Mauprat

Source du texte: Presse lyonnaise sur le site de la Bibliothèque Municipale de Lyon

Ce billet est publié dans le cadre du challenge Summer Star Wars lancé par Lhisbei et du Défi martien de Guillaume.

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