Voici pour une foi(s) (vous apprécierez la qualité du jeu de mot après lecture), une anticipation religieuse publiée en 1846. Il est certain que ce n'est pas la première édition. C'est un extrait d'un ouvrage que je n'ai pas
réussi à identifier (chapitre VI de Réflexions : dans le périodique il est écrit "Refexions" [sic] ). L'auteur lui non plus n'est pas identifié hormis ses initiales. Le Courrier de la Drôme et de l'Ardèche publiait des extraits d'ouvrages dans sa rubrique feuilleton sans toujours indiquer les références bibliographiques. Toute information pour localiser le texte original est la bienvenue.
(l'orthographe d'origine est respectée comme pour les mots "savannes" ou "Danemarck")
Apologue
C'était vers la fin du vingtième
siècle de l'ère chrétienne en l'année 19....
La paix régnait depuis cent cinquante
ans et l'activité de l'homme tout entière vouée aux progrès de la
civilisation avait produit durant cet espace de temps des résultats
miraculeux. Le monde se trouvait à peu près transformé au moral
comme au physique.
La politique parvenue à son apogée le
plus brillant était calme et heureuse. Il ne restait plus rien à
faire pour les intérêts sociaux de l'humanité mise en possession
définitive de tous ses droits publics et privés. Il n'y avait plus
nulle part ni tyrans ni esclaves ni serfs ni prolétaires. La loi
était pour tous et au-dessus de tous.
L'industrie enfantait merveilles sur
merveilles, occupait les bras, utilisait les richesses, ennoblissait
le travail, éteignait la pauvreté, égalisait paisiblement les
conditions et mettait le bien-être partout. Des chemins de fer
sillonnaient les continents dans toutes les directions pendant que la
marine à vapeur croisait sur tous les Océans.
— Le commerce avait fini par
confondre les peuples à force de les rapprocher, l'échange des
idées se faisant en même temps que l'échange des marchandises. Il
n'y avait que deux nations dans l'univers, l'Europe et l'Amérique.
Seulement ces deux nations se composaient de provinces qui retenaient
leurs anciens noms, France,Italie, Angleterre, Etats-Unis, Mexique,
Chine, Japon, etc., etc. On ne parlait qu'une même langue, les
mœurs et les coutumes étaient devenues uniformes.
L'instruction avait banni l'ignorance
et les préjugés de toutes les classes. Pas d'individu qui ne sût
lire, écrire, rédiger ses contrats, tenir ses livres. La science
elle-même était commune, la moindre petite ville possédait une ou
plusieurs académies.
L'agriculture obéissant à une immense
impulsion couvrait la surface du globe de plantations et de moissons.
Les populations agricoles envahissaient les steppes et les savannes ;
les déserts disparaissaient à vue d’œil sous les flots
d'agriculteurs, l'abondance était partout. Personne ne mourait plus
de faim.
La moralité croissait en proportion de
l'amour et de l'émulation du travail L'oisiveté avec son cortège
de vices et de crimes fuyait de la terre. On ne trouvait ni mendiants
dans les rues ni voleurs sur les routes ni pirates sur les mers ni
usuriers ni agioteurs ni escrocs dans les cités.
C'était l'Age d'or.
Une seule chose manquait au bonheur du
genre humain.
L'unanimité de croyances.
A la vérité le christianisme était
devenu la religion de l'univers, mais les dissidences continuaient
dans son sein. La France, l'Espagne, l'Italie, l'Autriche, la
Belgique, la moitié de la Bavière, la moitié de la Suisse, le
tiers de la Hongrie, le Mexique,le Brésil, les colonies
françaises étaient catholiques. L'Angleterre, la Hollande, la Suède,
le Danemarck, les deux tiers de la confédération germanique, les Etats-Unis, les colonies anglaises, hollandaises et américaines
suivaient le protestantisme. La Russie, la Grèce et leurs
dépendances étaient schismatiques. Dans les pays que la
civilisation avaient rendus chrétiens , les diverses sectes
s'étaient propagées en proportion à peu près égaie selon
qu'avait dominé l'influence de tel ou tel peuple européen. De sorte
que les hommes réunis par la Charité restaient séparés dans leur
Foi par centaine de millions, et bien qu'une large tolérance
entretînt parmi eux la fraternité évangélique, on ressentait
partout le malaise des idées religieuses en désaccord.
D'un autre coté la philosophie
conservait ses adeptes, qui se tenaient à l'écart de tout culte
extérieur et semblaient être d'une autre famille que leurs
semblables, ce qui ajoutait au malaise.
Les deux grandes nations songèrent à
faire cesser cet état de choses sans violence, sans guerre, sans
troubles, uniquement par l'accord volontaire et universel des hommes.
Un Concile général, le plus
considérable qui eut été tenu, se rassembla à Jérusalem. Il dura
un an, pendant lequel il y eut émulation constante de Charité, de
bonne Foi, de bienveillance et de conciliation. Chaque culte, chaque
doctrine, chaque conviction furent tour à tour exposés, écoutés,
examinés et appréciés sans que le calme et la fraternité de cette
imposante assemblée reçussent la moindre atteinte.
Un illustre prélat français fit, dans
un discours mémorable, le tableau de la société catholique. Il
parla magnifiquement du catholicisme, de sa belle hiérarchie, de sa
forte organisation, de la pompe et de la noblesse de sa liturgie, de
ses savants théologiens, de ses intrépides missionnaires, de son
pieux clergé. Il fut longtemps applaudi par tout le Concile.
L'archevêque luthérien d'Upsal fit
une savante dissertation historique sur la réforme , sur ses causes
et sur ses résultats en faveur de la liberté de conscience. Il
s'appliqua à faire ressortir les points de contact existant entre le
luthéranisme et le catholicisme , et il termina en exprimant le
désir sincère d'un accord définitif. Son discours fut bien
accueilli.
Un pasteur calviniste de Genève
s'étendit fort éloquemment sur le christianisme de sa religion ,
sur l'austérité des mœurs et sur la piété des protestants; sur
leur attachement pour les dogmes révélés dans la sainte écriture,
sur leur Foi dans le Christ, verbe de Dieu , né de Marie pour le
salut des hommes, et exprima également, au nom de ses
co-religionnaires, le vœu ardent d'un entier rapprochement de
tontes les sectes chrétiennes. Il reçut de nombreuses marques
d'approbation.
Le grand Rabbin des juifs d'Allemagne,
vénérable vieillard presque nonagénaire, après avoir fait l'éloge
de la religion juive, montré son antiquité et raconté ses longs
malheurs, déclara être prêt à rentrer avec tous les siens dans la
réconciliation générale de l'Eglise. On l'écouta avec un
religieux respect.
Un célèbre philosophe eclectique
s'attacha à démontrer que la philosophie n'avait en pour but que le
bien de l'humanité et le développement de l'intelligence de
l'homme, afin de l'élever davantage vers le créateur. Il déclara
aussi, au nom de ses disciples , qu'il donnait son assentiment le
plus complet à la décision qui serait prise pour ramener le monde à
l'unité de la Foi.
Enfin, l'êvéque deNovogorod , muni
des pleins pouvoirs du Synode moscovite, lut publiquement l'acte
d'adhésion des chefs de la communion gréco-russe à toutes les
mesures que le
Concile jugeait à propos de prendre
dans l'intérêt commun.
Plusieurs mois se passèrent en
conférences et en délibérations pacifiques. Entre tous ces hommes
qui s'estimaient et s'aimaient nonobstant la différence des
croyances religieuses, l'accord de ces mêmes croyances avançait
rapidement. II restait cependant encore quelques points de doctrine à
traiter sur lesquels il n'y avait pas parfaite unanimité, et les
membres de l'auguste assemblée s'affligeaient de ce retard,
lorsqu'un d'eux s'écria comme inspiré :
« Mes frères, au lien de discuter
plus longtemps sur ces questions ardues et qui peut-être sont
insolubles pour notre faible raison, allons tous ensemble prier au
Saint-Sépulcre de Jésus-Christ et ne nous relevons pas de dessus la
pierre sainte que nous n'ayons obtenu, par la ferveur de notre
prière, les inspirations que nous demandons vainement à notre
sagesse. »
Cet avis fut adopté avec acclamation.
Ils allèrent prier au tombeau du Sauveur, et leur prière fut
exaucée, car, lorsqu'ils se relevèrent de dessus la pierre sainte,
ils étaient tous d'accord, et, dans l'église même du
Saint-Sépulcre, ils rédigèrent la formule d'union définitive et
universelle.
Ainsi, dans ces saints lieux , où
autrefois les apôtres avaient écrit le symbole et fondé le
christianisme , le christianisme se retrouvait entier, pur, homogène
comme Dieu et universel comme sa vérité infaillible.
Cet événement fut grand dans le
monde.
Alors on vit que l'Evangile est
vraiment le livre divin, puisque sa plus grande et sa plus difficile
prédiction s'était accomplie : fiet unum ovile et unus pastor.
[traduction: "il n'y aura qu'un seul troupeau et un seul pasteur", Jean X, 6]
La Charité avait ramené les hommes à
la Foi par la civilisation.
Et il ne manqua plus rien au bonheur
du monde.
Et du haut du Ciel Dieu se complut dans
son œuvre de régénération , comme aux anciens jours il s'était
complu dans son œuvre de création.
H.D., « Apologue »,
Courrier de la Drôme et de l'Ardèche, n° 9, quinzième
année, mardi 20 janvier 1846.
Image: "L'entrée du Saint Sépulcre", gravure par Sisbel d'après E. Breton. 1846
Un rève ?
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