La presse numérisée permet de découvrir l'existence de textes non par un accès direct mais par citation. Le journal catholique La Croix mentionne ainsi en 1912 un article de Jules Payot, recteur de l'université d'Aix, personnalité anticléricale et très engagée dans le combat laïque. On y découvre les germes d'une anticipation sociale. Reste à trouver le texte d'origine paru dans ce fameux Volume... [mise à jour 08/02/2022: le texte est désormais disponible sur ArchéoSF en cliquant ICI]
Une curieuse conception de M. Payot
Un ami
nous écrit:
J'ai
découvert, sous la signature de M. Payot, dans le numéro du 28
octobre 1911, du Volume, une description de notre époque qui mérite
notre attention. Elle est immédiatement suivie de l'exposé des
transformations qui, depuis, se sont réalisées, car .M. Payot
suppose qu'un certain M, Sagace, l'homme des Neiges, que nous pouvons
pressentir n'être autre que lui-même, est demeuré quatre-vingts
années enseveli dans les glaces du Mont-Blanc et qu'il revient à la
vie vers l'an 2000. Il est à la fois curieux et intéressant de voir
ainsi se réaliser sous la plume du recteur de l'Université d'Aix,
l'une des conceptions de son esprit.
Voici
d'abord, telle qu'elle est décrite, notre vie en l'année 1911:
« A
l'époque où l'homme des Neiges avait, vécu sa première vie, le
nombre des neurasthéniques était considérable. La civilisation,
purement matérielle, stimulait à l'excès les sentiments
individualistes. L'éducation était pénétrée de matérialisme. M.
Sagace s'en rendait compte et il en était humilié. Au milieu de la
société polie où il vivait maintenant, les souvenirs de la vie
d'autrefois lui revenaient en foule. Combien l'isolement y était
cruel? Il repassait, dans sa mémoire, sa vie d'étudiant à Paris,
dans l'abandon moral et la solitude du cœur, au milieu des camarades
également abandonnés. Dans ses divers postes, même impression de
solitude.
Les
instincts sociaux, on le trompait, sans les satisfaire. La vie
sociale n'avait ni ordre, ni force, et le gaspillage était inouï.
Les uns s'enfermaient dans des cabarets ou dans des cafés, dépensant
chaque jour des sommes appréciables, puisque les cafetiers
innombrables de chaque localité vivaient, malgré la concurrence, et
que la plupart d'entre eux faisaient fortune. Les gens « plus
distingués » avaient leur cercle, où ils dépensaient beaucoup les
rares « intellectuels » de la ville y trouvaient quelques revues
premier essai, mal venu, d'une coopération pour la vie en commun.
A ces
dépenses, formidables au total, s'ajoutaient les dépenses des
cafés-concerts, des cinématographes, des théâtres, des
conférences, des spectacles de toutes sortes, destinés à tromper
le besoin que chacun avait de sortir de son isolement et de se
trouver en communion d'idées et de sentiments avec ses semblables.
Après
la description de notre époque, voici la conception élaborée par
M. Payot:
« Aussi,
quand un groupe d'hommes et de femmes énergiques entreprirent de
fonder une maison commune, furent-ils suivis par beaucoup de
gens, heureux d'échapper à leur isolement.
Malgré
l'opposition haineuse des cafetiers et des entrepreneurs de
spectacles, chacun des adhérents fit le compte de ce qu'il dépensait
dans l'année « pour tromper
ses besoins sociaux » et il en fit l'avance. On put, avec ces
souscriptions, commencer la maison commune. Bibliothèque, modeste
d'abord, salles de lecture, salles pour sociétés intimes, jardins
d'enfants, belle salle des fêtes, attirèrent peu à peu la majeure
partie de la population. Le programme portait qu'on mettrait en
commun ce qu'on pouvait avoir de talents et de bonne volonté. Des
représentations furent organisées et de véritables aptitudes pour
la diction se révélèrent, soirées musicales, lectures,
déclamations, se succédèrent d'abord chaque semaine, puis plus
souvent. De petites équipes de diseurs, de chanteurs,
s'organisèrent. Peu à peu la maison commune prospéra et
s'agrandit.
Bientôt,
on fit appel à toutes les ressources due l'art. Partout les maisons
communes s'élevèrent, comme les cathédrales aux XIIe et XIIIe
siècles. Architectes, peintres, sculpteurs rivalisèrent. La beauté
artistique de ces maisons qui devinrent partout des palais,
expliquait que les maisons particulières fussent si sobres d'objets
d'art c'est que chacun mettait son orgueil à enrichir la maison de
tous et que chez soi on se contentait de fleurs... »
Est-il
besoin d'indiquer qu'il ne nous sera pas nécessaire d'attendre
jusqu'à l'an 2000, pour voir partout réalisée, pour peu que nous y
mettions un peu de bonne volonté, la conception de M. Payot, il est
une maison commune où nous pouvons venir si nous souffrons trop de
l'isolement. De cette maison nous devons réapprendre le chemin et
nous pouvons, revivant les traditions ancestrales, contribuer à
augmenter la richesse ou beauté de sa décoration intérieure.
A côté
de l'église, déjà en divers coins de France s'est ouverte la
maison familiale avec ces bibliothèques, ces salles diverses, cette
mise en commun des bonnes volontés, rêvées par M. Payot.
Naturellement,
M. Payot ignore ou feint d'ignorer ces tentatives.
N'était-il
pas intéressant de rencontrer un esprit, si hostile nos idées, si
près de reconnaître la nécessité d'organisation que nous tâchons
de réaliser.
Anonyme,
« Une curieuse conception de M. Payot »,
in La Croix
n°8852, 27 janvier 1912.