Paul Lacombe (1834-1919), historien et archiviste, a donné son oeuvre majeure De L'histoire considérée comme science en 1894. Il est un des pivots essentiels de l'historiographie moderne, annonçant l'école des Annales et fut loué pour les concepts qu'il a mis en place par Fernand Braudel.
Paul Lacombe tranche dans une fin de siècle marquée par l'histoire-narration du roman national et montre l'importance du temps long et critique l'histoire événementielle.
Dans De L'histoire considérée comme science, il fait mention de l'Uchronie de Charles Renouvier et défend l'idée que l'histoire peut être source d'expérience grâce à l'imagination: ce que l'on appelle aujourd'hui de manière commune l'uchronie.
Je dois dire ici
quelques mots d'une sorte d'expérience qui est seule possible en
histoire : l'expérience imaginaire. Supposer par la pensée à
une série d'événements une tournure autre que celle qu'ils eurent,
refaire par exemple la Révolution française. Beaucoup d'esprits
trouveront sans doute que cela constitue un ouvrage vain, sinon même
dangereux. Je ne partage pas ce sentiment. Je vois un danger plus
réel dans la tendance qui nous porte tous à croire que les
événements historiques ne pouvaient pas être autrement qu'ils
n'ont été. Il faut se donner au contraire le sentiment de leur
instabilité vraie. Imaginer l'histoire autrement qu'elle ne fut,
sert d'abord à cette fin. Après cela, les bénéfices secondaires
tiennent à la façon dont l'expérience est construite : à la
connaissance des hommes qu'on y apporte, à la logique avec laquelle
on suit dans leurs conséquences les changements imposés à
l'histoire. Un penseur éminent, M. Renouvier, avec qui il est très
honorable de se rencontrer, a très bien aperçu l'utilité de
l'expérience imaginaire. Il nous en a donné un exemple dans
l'Uchronie, ouvrage aussi remarquable par l'exécution que
louable dans son principe.
M. Renouvier a
appliqué l'idée de l'expérience imaginaire à l'histoire
accidentelle, aux événements. Je crois le procédé de nature à
être encore plus fécond dans l'histoire science. Supposer telle
institution autrement qu'elle n'a été, supposer même l'homme
général autre qu'il n'est dans quelqu'une de ses parties, je pense
hautement que cela est bon à faire; aussi l'ai-je fait. Je rappelle
au lecteur les suppositions que je me suis permises au sujet des
besoins alimentaires et génésiques qui seraient restés
inconscients; de l'air respirable, devenu un objet d'appropriation
privée et de répartition, comme le sol terrestre sans parler
d'autres imaginations dispersées dans ce volume. Il se peut que
j'aie tiré du procédé un faible parti ; mais je tiens
toujours qu'en de meilleures mains il pourrait être très
profitable.
Paul Lacombe, De L'Histoire considérée comme science, éditions Hachette, 1894