VARIÉTÉS
HISTORIQUES
En
l'An
2000
L'ECOLE
DE
H.-G.
WELLS
L'Angleterre
vient
d'entrer
dans
une
voie éducative
nouvelle
;
alors
que
le
précédent
ministère
conservateur
avait
fait
voter
l'acte
qui
donnait
l'enseignement
aux
clergés, surtout
anglican,
sorte
de
loi
Falloux anglaise
qui,
sous
couleur
de
liberté,
ne
favorisait
que
l'instruction
cléricale,
le
ministère
libéral
de
sir
H.
Campbell
Bannerman
vient
de
déposer
et
de
faire
voter
un
Education
Act,
qui
libère
et laïcise
l'enseignement
d'Angleterre.
Cette circonstance
donne
de
l'actualité
aux
fantaisies
de
H.-G.
Wells,
un
humoriste
anglais
qui
soulève
avez
sérieux
et
méthode les
plus
délicates
questions
de
l'éducation nationale.
Il
y
a
peu
de
personnes
en
France
qui
connaissent H.-G.
Wells.
Un
historien
et
un pédagogue,,
qui
délaisse
parfois
l'appareil
de
l'érudition
pour
nous
conter
d'aimables romans
du
treizième
siècle
ou
nous initier
à
ses
impressions
de
voyage
dans
les
pays
anglo-saxons,
nous
présente
dans un
récent
livre
le
nouveau
Jules
Verne anglais.
(1)
Le
Jules
Verne
philosophe
qu'est
H.-G.
Wells, à
l'imitation
fructueuse
de
son
illustre
compatriote
Thomas
Morus,
rêve
et
vagabonde
dans
un
pays
idéal,
une
nouvelle république
d'Utopie.
Comment
seront élevés
les
enfants
de
l'an
2000?
Singulièrement
bien,
sans
nul
doute.
Vérité
au
delà
de
l'an
2000,
erreur
en
deçà.
Elle
ne
sera
pas
si
ennuyeuse
ni
si
monotone,
l'école
de
la
nouvelle
république
de 2000
ou.
enseigneront
les
disciples
de
sir
John
Colet,
H.-G,
Wells
et
compagnie!
Car
H.-G.
Wells
n'est
pas
le
premier
promoteur anglais
de
l'école
rationnelle.
Un contemporain
de
l'Utopie
de
Morus
et
de
Henri
VIII,
le
roi
Barbe-Bleue,
Colet,
avait déjà
tenté
de
vivifier
l'éducation
par une
instruction
moins
littérale
que
spirituelle.
Colet
avait
essayé
d'affranchir
les
esprits
de
la.
scolastique
médiévale
;
Wells,
plus
modeste,
et
qui
ne
dispose
point
de
l'appui
d'un
roi,
voudrait
voir les
générations
nouvelles
plus
libres,
hors du
classicisme,
du
pseudo-classicisme
contemporain.
Aujourd'hui,
l'école
prétend former
le
goût,
quand
elle
ne
tente pas
d'imposer
un
goût
officiel
:
le
professeur
de
littérature
«
admire
»
Corneille
et
Boileau,
demande
qu'on
les
admire
;
le
professeur
de
l'art
parle
et
fait
parler
de
la
beauté
des
vierges
de
Vinci
ou de
Raphaël
;
les
examinateurs
demandent
que
l'on
disserte
pendant
quatre
heures sur
«le
goût».
Je
me
souviens
de
mon étonnement
un
peu
ennuyé
lorsque
jadis,
lors
du
bachot,
je
dus,
écolier
de
seize ans,
faire
sur
«le
goût»
une
composition
dite
française
;
mes
professeurs
ne
m'avaient
jamais
parlé
que
du
goût
officiel qui
était
le
leur,
et
ils
avaient
toujours
dédaigné
tenter
de
former
le
mien.
Les
professeurs
de
l'an
2000,
dans
les
écoles de
H.-G.
Wells,
apprendront
avant
tout à
voir,
et
cette
chose
qui
paraît
simple
n'est
pourtant
point
très
aisée.
L'école
essaiera moins
de
former
le
goût
que
d'apprendre au
goût
à
se
former
lui-même.
L'enfant,
ne
sait
naturellement
pas
voir. Combien
difficile
est
de
le
lui
apprendre
!
A
force
d'entendre
dire
que
la
Madone Sixtine
est
belle,
l'enfant
répétera
qu'elle
est
belle,
et
peu
à
peu
l'idée
de beauté
s'alliera
dans
son
esprit
avec
celle
de
l'art
classique.
Ce
sont
des
générations
dont
le
goût
n'a
été
fabriqué
qu'avec des
mots
et
des
phrases
qui
ont
laissé
Millet
mourir
dans
la
misère,
et,
haussant les
épaules
devant
le
Balzac
de
Rodin, lui
préfèrent
la
mièvrerie
et
l'insignifiance
habiles
d'un
Falguière
effondré.
Wells
demande
non
des
clichés
littéraires,
mais
des
photographies,
des
moulages
:
l'école
doit
être
un
musée,
et
l'enfant
doit
apprendre
à
voir
;
le
maître
n'est pas
là
pour
imposer
une
admiration
béate
maladroite
et
sotte,
mais
pour
guider
l'esprit
vers
l'observation
personnelle,
l'observation des
yeux
d'abord,
condition
première et
indispensable
de
la
réflexion,
de la
critique,
de
toutes
les
fonctions
de
l'entendement.
Qu'apprend-on,
aujourd'hui,
dans
l'école
?
Des
connaissances
inutiles
ou
bien
inutilisables. L'inutile
ce
sont
ces
langues
mortes,
grec,
latin,
dont
les
plus
hardies
réformes n'ont
pas
pu
nous
débarrasser
encore ;
les
seuls
éléments
utiles,
que
l'on
puise
à
l'école
actuelle,
l'enseignement
scientifique, sont
rendus
inutilisables
par
la manière
dont
on
en
instruit
;
les
sciences
ne
sont
plus
que
des
faits
bruts
et
des
formules ;
on
en
laisse
de
côté
la
philosophie,
on
oublie
d'apprendre
à
quoi
elles
servent, quelle
discipline
elles
imposent,
en quoi
elles
sont
profitables
à tous les
esprits.
Elaguer
les
branche»
inutiles,
rendre
fructueuses
et
fécondes
celles
qui
ne
sont
que stériles,
encore
bien
qu'agréables
:
tel
est
le
programme
de
H.-G.
Wells
:
lire,
écrire, connaître
sa
propre
langue
et
bien
savoir s'en
servir,
parler
les
langues
étrangères,
faire
beaucoup
de
mathématiques,
dessiner,
peindre,
jouer
de
la
musique,
telles
sont,
selon,
lui,
les
disciplines
auxquelles
le
futur
«
honnête
homme
»
devra
se
soumettre,
telles
sont
les
matières
de
renseignement
de
l'école
nouvelle.
Le
professeur
ne
sera
pas,
comme
aujourd'hui,
un
récitateur
de
manuel;
le
professeur
fait
son
cours;
les
élèves
prennent
des notes,
n'écoutent
pas,
et
tous
sont
satisfaits,
le
maître
parce
que
les
écoliers
sont
tranquilles,
les
élèves
parce
que,
écrivant machinalement,
ils
peuvent
sommeiller,
dormir
tout,
en
paraissant
suivre
la parole
magistrale.
Telles
sont
la
plupart
des
classes
actuelles,
et
en
France
peu
nombreuses
sont
les
exceptions
à
cette règle,
au
moins
dans
les collèges
et
lycées de
province,
où
les
inspections
sont
rares
ou
conçues
dans
le
vieil
esprit.
La classe
nouvelle
de
la
nouvelle
république
sera
tout
autre
:
ce
ne
sera
qu'un
« cabinet
de
consultation
».
où
le
professeur
indiquera
les
livres
à
lire,
lira
les
notes et
compositions
des
élèves,
expliquera
les
choses
incomprises,
éclaircira
les
doutes, répondra
aux
questions.
La
classe
sera
une
conversation
et
non
plus
un
monologue, où
le
professeur
ne
dormira
plus quand
«
réciteront
»
les
élèves,
est
les
écoliers
ne
sommeilleront
plus
quand
le
maître fera
ex
cathedra
son
sermon
habituel.
Les
programmes
de
l'enseignement
secondaire
ne
seront
pas
aussi
simples
que
ceux de
l'enseignement
primaire,
qui
ressuscitait
presque
l'école
où
le
jeune
Grec
antique apprenait
à
être
beau
dans
son
esprit et
dans
son
corps.
Dans
l'école
secondaire
de
Wells,
l'écolier
aura
trois
cours à
choisir
:
la
philosophie
naturelle
(sciences), la
biologie
et
l'histoire,
qui
prépareront
aux
carrières
soit
industrielle
et
scientifique,
soit
médicale
et
professorale,
soit
littéraire
et
politique,
toutes
disciplines
servant
au
reste
à
la
culture
générale et
complétées
par
de
bons
livres.
Pour
encourager
la
publication
de
bons
livres, Wells
rêve
d'une
organisation
publique
de
la
librairie,
utopie
moins
intéressante
parce
que
notre
rêveur,
trop
imaginatif, est
peu
au
courant
des
organismes
bibliographiques
actuels.
Aujourd'hui
le
travail
s
organise
et
de
bons
manuels
paraissent
peu
à
peu.
Ainsi
H.-G.
Wells,
nous
communiquant
ses idées
et
nous
faisant
entrevoir
son
éducatif idéal,
nous
fait
parfois
réfléchir
sur
les
vices
de
notre
enseignement
actuel.
Comme
tout
bon
critique,
un
peu
morose et
un
peu
sévère,
il
dénigre
son
pays et
prône
le
voisin
:
l'Anglais
a
beaucoup
à
apprendre
en
France
;
le
Français
a beaucoup
à
apprendre
en
Angleterre
si
ailleurs,
et
c'est
ainsi
que
M.
Ch.-V.
Langlois, nous
initiant
aux
occupations
de
nos voisins
d'Outre-Manche
au
sujet
de
l'éducation
de
la
jeunesse
actuelle,
nous
incite à
tirer
profit
des
rêveries
d'un
fantaisiste,
dont
les
fantaisies
peuvent
parfois
paraître
fort
logiques
et
fort
heureuses.
JACQUES
ANGEL.
L'Aurore,
n° 3252, 14 septembre 1906
(1)
CH.
V.
LANGLOIS
:
Questions
d'histoire
et
d'enseignement,
Nouvelle
série
P.
Hachette
1908 in-16.
II + 320
pp.
:
Les
Idées
de
H.-G.
Wells
sur
l'éducation.