DANS TROIS MILLE ANS
Personne, le néant,
froid, muet, étonné.
(V. HUGO, Légende
des siècles)
La solitude morne,
incroyable, effrayante,
Le silence profond
qui tient de l'épouvante,
Les joncs dressant
leur tige au milieu des marais,
Les coteaux, les
ravins, les fossés, les forêts,
Les excavations, les
souterrains énormes,
Les ronces
s'attachant aux branchages des ormes,
Des champs pleins de
chardons et de mousse couvrant
On ne sait quoi de
noir, et d'informe et de grand
Comme des pans de
murs ou des monceaux de pierres,
Qui doivent rappeler
bien des choses allières,
Et qui prennent la
nuit la forme des tombeaux ;
Des temples en ruine
où nichent les corbeaux,
Un édifice encor
rayonnant et superbe
Dont le dôme
orgueilleux démantelé clans l'herbe
A cette heure fait
place au divin firmament
Et plus loin, une
tour penchant horriblement,
Aux murs tout
dégradés, et là-bas, sur la côte,
Parmi les longs
sapins, une porte si haute,
Que son arc affaissé
par les ans apparaît
Comme un pont
au-dessus de l'obscure forêt,
Tel est l'aspect,
telle est la vision étrange
De ces lieux où la
gloire est mêlée à la fange.
Chaos, immensité,
solitude, néant,
Qu'avez-vous fait,
hélas ! de ce peuple géant.
Et parmi ces vieux
murs, ces pierres, ces ruines
Couronnés par le
temps comme Jésus d'épines,
Où l'on
retrouverait de l'or et de l'airain,
Qu'aujourd'hui le
lion habite en souverain,
Un fleuve est là
caché sous les roseaux dans l'ombre
Qui, fier de son
passé, coule sinistre et sombre.
Du plus brillant des
jours voilà le lendemain.
Et jamais en ces
lieux on ne voit rien d'humain,
Pas même un pâtre
errant qui cherche une prairie,
Ni l'abeille qui
cherche une rose fleurie.
Quelquefois
cependant, le poète égaré,
Rêveur, silencieux,
par le calme attiré,
Entre en ces bois
profonds, descend vers cette rive,
Où l'eau calme et
sans bruit comme lui-même arrive,
Où son pied foule
encor par endroits du granit,
S'approche de ces tours que le soleil brunit,
Soulève un coin
tremblant de leur manteau de lierre,
Lit les noms oubliés
par le temps sur la pierre,
Pleure et s'écrie
enfin, parlant à ces débris,
– Dire, hélas !
que c'est là ton squelette, ô Paris –
Henri Malin, « Dans trois mille ans », Revue des jeunes
poètes, 1er août 1873
A lire dans la collection ArchéoSF:
Les Ruines de Paris et autres textes,
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A lire sur les sites ArchéoSF:
Baronne Jenny d'Erdeck, Voyage aux ruines de Paris en l'an 3870 (1870)
Camille Flammarion, Dans les ruines de Paris (1912)