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ISSN 2496-9346

mercredi 23 septembre 2020

[Parution] Demain, l'écologie ! Utopies & " anticipations environnementales (éditions publie.net)

L'anthologie Demain, l'écologie ! Utopies & anticipations environnementales paraîtra le 2 décembre 2020 dans la collection ArchéoSF aux éditions publie.net.

L'ouvrage est en pré vente sur le site de l'éditeur.

L'anthologie, préfacée par Natacha Vas-Deyres, rassemble des textes publiés entre 1810 et 1920.



Edouard Jouve, "L'An 3000" (1919)

Le Figaro et Le Voltaire annoncent en 1919 une opérette du compositeur Edouard Jouve (1870-1950, né en Italie et naturalisé Français en 1906) sur un livret de Fac et Rab au titre parfaitement conjectural: "L'An 3000". Malheureusement, selon le site Encyclopédie multimédia de la comédie musicale théâtrale en France, l'auteur n'a pas trouvé de théâtre pour accueillir l'opérette. Cette anticipation rejoint ainsi le vaste corpus de la science-fiction invisible, et d'autant plus invisible qu'aucune trace du manuscrit n'a pu être identifiée.

Restent donc ces deux encarts d'annonces publiés dans la presse:

Le Figaro, 12 décembre 1919

Le Voltaire, 16 décembre 1919


 

 

 



mardi 15 septembre 2020

Paul Villa, Une page d’histoire (1889)

Faire l'histoire du passé, c'est dépassé! Vive l'histoire du futur. C'est en tout cas le projet de Paul Villa dans ce petit texte paru en 1889. De nombreux thèmes et fantasmes de l'époque traversent le texte : le progrès technique dans les domaines des transports et des communications, la tour Eiffel (qui vient d'être terminée), le péril jaune, le métissage (les thèses racialistes sont à la mode et le texte est clairement raciste), l'utopie d'un monde sans guerre (quelques années après celle de 1870 et peu avant celle de 1914-1918).

UNE PAGE D'HISTOIRE

Après la poésie, l’histoire est certainement l’expression la plus élevée et la plus noble de la pensée humaine.

Seulement comme tous les hommes sont paresseux, ils ont tous, plus ou moins bien, écrit l’histoire d’hier, ce qui n’est pas malin ; ce rôle de phonographe ne me convient pas, aussi je veux simplement écrire une page de l’histoire de demain, ce qui me semble beaucoup plus palpitant. Il est bien entendu que je ne donne ici qu'un scénario, qu’une fresque enlevée à grands coups de brosse : aux patients, aux laborieux à fignoler mon travail, à eux d’entourer le bronze sévère de festons et d’astragales d’or finement ciselés.

Je commence :


1900. L’Europe, les deux Amériques et l’Australie sont couvertes de chemins de fer, Panama est percé et le canal sous-marin qui relie les Batignolles à Trafalgar-Square fonctionne régulièrement, ce qui est très commode pour les pickpockets; l’Europe est heureuse et Paris plus que jamais l’auberge du monde.


1920. L’Asie est couverte de chemins de fer, la Chine à elle seule en possède pour 47 milliards. Le fameux train pneumatico-télescopique par tube vient d’être inauguré entre Paris et Pékin : le monde entier est heureux.


1930. L’anniversaire des trois glorieuses. Hélas ! que les temps sont changés à 100 ans de date. Une horde de six millions de Chinois, armés jusqu aux dents s’est jetée à l’improviste sur la vieille Europe par les grandes lignes ferrées des Indes, de l’Euphrate, de la Sibérie, de la Caspienne.

Russes, Allemands, Français, Anglais ont été massacrés et ce qui reste de survivants traîne une vie misérable sur le sol dévasté de la patrie, tandis que les fils du Céleste, gras et gros, se prélassent à la place des Rothschild et autres juifs qu’ils ont exterminés jusqu’au dernier.

Les Italiens seuls n’ont pas trop eu à souffrir, grâce à leurs talents variés et ils gagnent encore leur pain en cirant les bottes des mandarins à trois queues.


1948. Encore un anniversaire célèbre, l’aube des jours mémorables se lève, le vieux sang gaulois uni a tant coulé depuis la conquête des Jaunes, bouillonne et fermente de nouveau, c’est lui qui vivifie la terre et soulève les pavés aux heures suprêmes.

Cependant les conquérants sont calmes, la direction des ballons est trouvée, les lignes internationales aériennes sillonnent les deux hémisphères, les isthmes sont inutiles et les 32 milliards de chemins de la France, devenant improductifs et superflus, sont adjugés pour 11.591 fr. 17 centimes à l’hôtel Drouot.


1953. Les temps marchent vite, les événements vont se précipiter et cependant personne ne s’en doute.

Nous sommes le 17 mai, à minuit, l’heure grave, un inventeur célèbre de la rue Mouffetard vient de découvrir une poudre dont une simple pincée fait sauter 9 départements, il en a chargé secrètement une flottille de ballons, c’est fait, il part, il est arrivé, crac, il lâche tout sur la Chine, de ses 400 millions d’habitants, 200 millions périssent sur le coup, le Céleste-Empire est écrabouillé, les Chinois volent au secours de leurs frères ; l’Europe respire, elle est délivrée : il y a encore de beaux jours pour la France !


L’an 2000 ! Saluez. Il n’y a plus d’Allemands, plus de canons, plus de guerre, tous les peuples sont frères et ne vivent que pour faire du commerce.

Que dis-je, des trois races, la blanche en Europe, la jaune en Asie, la noire en Afrique, il ne reste plus rien, les races elles-mêmes ont disparues, grâce aux mariages, aux métissages et il ne reste plus que deux races sur le globe : la race café au lait qui résulte des unions de l’Europe avec l’Asie et la race chocolat qui est le produit des différents peuples avec les nègres : le monde de nouveau est heureux et à la grande exposition universelle de Paris, qui couvre une superficie de 45 lieues de terrain autour de la capitale, par un système de coulisses et de relonges fort ingénieux, un mécanicien vient de pousser la tour Eiffel à 600 mètres.

2010. Nous sommes le 14 juillet, la terre est trop petite, on organise, grâce à l’air comprimé, une série de ballons de plaisir pour la lune ! 

 

Paul Villa, « Une page d’histoire », 

in Le Phare littéraire, 3ème année, 2ème série,

n° 34, 15 janvier 1889

 

mardi 8 septembre 2020

Ernest Jaubert, Un prospectus en l'An 2000 (1890)

 Alors que l'on cherche toujours le secret de l'immortalité, Ernest Jaubert imagine en 1890 le problème inverse: tout le monde est quasiment immortel ce qui ne va pas sans poser de problèmes: épuisement des ressources, ennui, ... Heureusement un savant vient de mettre au point un "humanicide" permettant de résoudre cette grave question.

C'est sous la forme d'un prospectus commercial à la mode de la fin du XIXe siècle que l'auteur nous propose son texte.

 

UN PROSPECTUS EN L'AN 2000

(Actualité)


Monsieur,


Chacun sait à quel point, depuis les désastreux progrès de la science, il est devenu difficile, pour ne point dire impossible, de mourir.

Grâce aux Pasteur, aux Koch et autres grands malfaiteurs publics, toutes les maladies ont disparu, une par une, tuées par leurs propres microbes. On n'est jamais trahi que par les siens ! — La vieillesse, à son tour, a été abolie par les émules du sorcier Brown-Séquard. Et le nom est sur toutes les lèvres du savant qui, — suprême coup de grâce ! — inocula à ses contemporains (tous! tous!), pour prévenir la mort, le vaccin de la Mort.

Toutes causes d'anéantissement et de dégénérescence ainsi éliminées, nos membres, nos organes ont acquis une souplesse, une vigueur inouïes, encore accrues d'une génération à l'autre, et fixées par l'hérédité. L'homme est, aujourd'hui, réfractaire aux plus violents poisons. Sa peau est un tissu impénétrable, infrangible, inusable, contre quoi rebondissent, inefficaces, les balles des fusils les plus perfectionnés, et que n'entament plus les aciers les plus acérés. Les cheminées, en tombant des toits, s'émiettent sur le roc de notre crâne invulnérable. L'adverse fantaisie nous prend-elle de nous jeter du plus haut de la Tour Eiffel, c'est nous qui défonçons le pavé sans même nous luxer un orteil. Et c'est le voyageur enlisé qui, par un juste retour,dévore — et digère — les crabes accourus par myriades à sa curée. Les épidémies ? Elles n'atteignent et ne détruisent plus que les bacilles conservés par les savants, à titre de curiosité, dans les musées spéciaux. D'ailleurs, les trains et les paquebots sont si supérieurement machinés, qu'on ne peut plus ni dérailler, ni sombrer.

Donc, plus de mort naturelle ou violente, accidentelle on volontaire. Plus de guerre : car à quoi bon se battre, si l'on ne peut se tuer ? Plus de suicide : car comment se périr? Maintenant, nous respirons sous l'eau ; notre cou résiste avec succès à la pression des chanvres les mieux ourdis; l'arsenic nous sustente ; le feu même nous caresse agréablement l'épiderme, etc , si bien que les « Suicide-House » système Charles Morice, ont du renoncer à satisfaire leurs clients, inéluctablement condamnés à la vie forcée à perpétuité. Et rien n'est plus misérable à voir que ce fourmillement de plus en plus dru, sur la croûte terrestre de plus en plus inapte à les nourrir, d'êtres uniformément jeunes, immortels et faméliques.

On sent ce qu'un pareil état de choses offre de périlleux pour la société comme pour les individus.

La société y perd ce qui faisait sa gloire au bon vieux temps : les sauveteurs et les docteurs, les héros et les bourreaux. Sans compter qu'elle n'a plus, cette société Gigogne, de quoi subvenir aux besoins de ses trop nombreux enfants, que multiplie encore une surabondance d'étalons intarissablement puissants.

Quant aux individus, n'ayant plus à mettre sous leurs dents toujours plus aiguisées qu'une portion indéfiniment réduite de l'inextensible gâteau, ils sentent leur faim s'exaspérer et leur espoir décroître de l'assouvir jamais, jamais, JAMAIS !! Et comme ils se savent, d'autre part, à toujours jeunes, à toujours vivants, à toujours prisonniers de l'Immuable, — l'Imprévu, ce pain de l'âme éprise du seul Nouveau, leur manque comme le pain du corps.

La Faim, l'Ennui, incurables parce qu'éternels, voilà donc le double terme de ce stade prétendument éblouissant qu'une aveugle science ouvrit à l'Humanité !

Eh bien, ce mal que la science a causé, c'est la science qui le guérira. Sans se laisser rebuter par les vaines tentatives des multiples chercheurs qui, avant lui, ont voulu rendre le repos éternel à l'humanité dégoûtée d'une éternelle existence, un homme dont la gloire éclipsera bientôt toute autre gloire, a sacrifié ses veilles à la solution d'un problème apparemment insoluble. Ses expériences viennent enfin d'aboutir : il a retrouvé le secret perdu de la mort ! Oui, ce bienfait dont nous avaient frustes d'inconscients génies (!), nous en jouirons de nouveau ; grâce à sa découverte inespérée, chacun pourra, comme antan, mourir pour sa patrie, pour le plaisir, pour rien ! Et les temps refleuriront où l'ancien équilibre rétabli, les hommes mangeront à leur faim et prendront gaiement la vie, — sûrs d'en sortir à leur heure.

Or, n'allez point, Monsieur , crier inconsidérément à l'exagération! L’Humanicide Necat est une vraie panacée universelle, qui a raison des santés les plus invétérées, aux immortalités les plus indélébiles. De ce, l'attestation la plus irrécusable est fournie par les nombreux cadavres qui s'entassent journellement dans le laboratoire de l'inventeur, où chacun peut les voir à son aise (entrée libre).

Donc, aucun mécompte il redouter quant aux effets de ce miraculeux remède. Pour sa composition et son mode d'emploi, vous trouverez, Monsieur , les renseignements les plus satisfaisants et les plus détaillés au siège la

Société d’assurances contre la Vie

(Décès garanti.)

Le Directeur,

Signé : JAMESON.

Pour copie « éventuellement» conforme,

ERNEST JAUBERT. 

 

Ernest Jaubert, « Un prospectus en l'An 2000 »,

in Art et critique, n° 81, 13 décembre 1890.