C'est en tout cas ce qu'indique l'article suivant signé Bernard Gervaise et publié dans Le Quotidien de Montmartre en... 1930 !
M. Robert-Esnault Pelterie, qui consacre depuis des années le meilleur de son activité à l'étude de cette science nouvelle qu'on nomme l'astronautique, vient de faire une conférence au cours de laquelle il a prononcé les paroles suivantes :
«A la suite d'examens approfondis de la question, je peux conclure qu'avant dix ou quinze ans, le voyage dans la lune et retour à la terre sera réalisable. Il ne dépend plus maintenant que d'un facteur, la découverte du mécène qui consacrera les millions nécessaires à la construction et à la mise au point de l'appareil de transport interplanétaire. »
En considérant d'une part le rythme accéléré qu'affecte à notre époque le progrès des découvertes mécaniques et, d'autre part, l'ardeur que l'on apporte à les utiliser, on peut être certain que si le voyage Terre-Lune et retour devient réalisable dans deux ou trois lustres, comme le veut M. Robert Esnault-Pelterie, il sera immédiatement réalisé, d'abord par quelques hardis sportifs amateurs de gloire, puis par une quantité d'amateurs de plus en plus considérable.
Avec une rapidité surprenante, nous verrons surgir des Compagnies commerciales astronautiques dont les services organiseront tout d'abord des «baptêmes de l'éther», puis peu à peu des excursions plus étendues ! Trois jours dans la Lune... « Paris-Neptune, via Mercure, Jupiter, Saturne, Uranus et retour...» Nous irons passer le week-end à la surface de Séléné ; nos grandes vacances se passeront au bord des canaux martiens, plus poissonneux, il faut l'espérer, que les rivières d'ici-bas et Vénus sera le but tout indiqué de tout voyage de noces !
La nouvelle invention arrive d'ailleurs à point nommé. Elle répond à un des plus pressants besoins de notre pauvre humanité dont le domaine se rétrécit de jour en jour à mesure que s'accroît la vitesse des véhicules mécaniques.
Il y a seulement un siècle, il fallait quinze ou dix-huit mois pour faire le tour du monde, le plus long voyage que l'on puisse accomplir sur terre en ligne droite ou, si vous préférez, en ligne courbe.' Cinquante, ans plus tard, le temps-limite de cette randonnée avait déjà beaucoup diminué, puisque les héros de Jules Verne purent le réduire à 80 jours. Aujourd'hui, nouveau progrès, les aviateurs doués de quelque endurance et de bons moteurs bouclent la boucle en moins de trois semaines.
Dans quatre ou cinq ans, moins peut-être, c'est en trois jours que se fera ce périple.
Enfin, un jour viendra, plus tôt qu'on ne pense sans doute, où l'on pourra se faire transporter sur n'importe quel point du globe en moins d'une journée. Ce sera la mort du tourisme, tout au moins du tourisme terrestre. Qui donc, en effet, voudrait se mettre en route pour si peu !
Il était grand temps, comme on le voit, que de nouveaux débouchés s'ouvrissent à notre activité. Grâce à l'astronautique, c'est chose faite, ou presque. Lorsque nous nous sentirons par trop à l'étroit sur notre misérable planète, rien ne nous empêchera de nous échapper par la tangente pour aller faire un petit tour dans les étoiles.
Espérons que cela contribuera dans quelque mesure à désembouteiller les routes de banlieue !
Selon Jules Verne, le meilleur moyen pour aller dans la Lune était de s'y faire expédier par un canon géant, à l'intérieur d'une sorte d'obus de gros calibre. M. Robert Esnault-Pelterie estime qu'il vaut mieux s'y rendre à bord de la fusée-dirigeable inventée il y a deux ou trois ans par le professeur allemand Hermann Oberth.
C'est ce merveilleux engin qui nous permettra d'aller nous promener un jour dans l'éther comme on se promène actuellement dans les airs.
Puisse-t-il ne jamais servir à autre chose, mais hélas ! n'y comptons pas trop ! Jusqu'ici, toutes les inventions primitivement destinées à faire le bonheur du genre humain ont été tour à tour mises au service de l'art militaire. Il est donc fort probable que la découverte du professeur Oberth ayant été comme les autres détournée de son véritable objet, nous verrons bientôt la fusée se substituer à l'obus dans les applications ordinaires de la balistique.
Et vous pensez, avec un engin capable de marmiter la Lune, quel jeu ce serait pour des artilleurs européens de démolir New-York, Yokohama ou Pékin tandis que les artificiers américains, japonais ou chinois écraseraient Paris, Londres, Rome et Berlin !
Une fois de plus, notre pauvre humanité, dont l'ambition était de canarder pacifiquement les astres, n'aura fait que cracher en l'air pour que ça lui retombe sur le nez !
Bernard Gervaise, "Les Gaietés de la semaine" (extrait),
Le Quotidien de Montmartre , n° 36, 11 mai 1930