Evidemment, Clément Vautel ça ne dit pas grand chose, il fait partie de ces écrivains presque oubliés mais pas tout à fait tout de même. De son vrai nom Clément-Henri Vaulet, il est connu pour des romans populaires qui n'ont rien à voir avec la conjecture rationnelle: Mon Curé chez les riches et Mon Curé chez les pauvres. Ces deux romans étaient encore au catalogue du Livre de poche dans les années 1970 et ont été adaptés au cinéma à plusieurs reprises (dès 1925). Né en en 1875 ou 1876 (la BNF indique la première date alors que l'encyclopédie Larousse donne la seconde) à Tournai en Belgique, il est mort en 1954 à Paris. C'est un polygraphe: journaliste, historien (de la petite histoire avec par exemple cet ouvrage publié en 1951 chez Albin Michel: Les Maris, les amants et la femme, histoire des cocus célèbres depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours ), pamphlétaire (avec Le Fou de l'Elysée en 1939) nouvelliste, romancier parfois en collaboration comme avec Georges de la Fouchardière avec qui il cosigne La Réouverture du Paradis terrestre (1919) et surtout La Machine à fabriquer des rêves (1923) dans le domaine de la SF.
"La grève des bourgeois" est parue en 1919 dans le numéro 163 de Je Sais Tout. Je Sais Tout était une publication de Pierre Lafitte (éditeur de la série Rouletabille de Gaston Leroux par exemple). Nous proposons ici la reproduction des dessins de Marcel Capy qui accompagnent le texte.
Pourquoi rattacher cette fantaisie au domaine de la conjecture rationnelle? Parce qu'il s'agit d'une anticipation, l'action se déroulant au milieu des années 1920.
Le texte s'ouvre sur un plaidoyer et présente le bourgeois comme "pressuré, opprimé, et par surcroît, bafoué" et occupant "la dernière place dans la société moderne que ses aïeux avait créée". En cause? les impôts créés par un état socialisant bien sûr!
Vient ensuite la narration d'une journée du bourgeois: 7 heures, réveil, lecture des journaux (que le bourgeois doit aller quérir lui même au kiosque car le valet a eu l'ordre de son syndicat de ne commencer qu'à 10 heures) qui n'annoncent que des mauvaises nouvelles (grèves, reprises individuelles, ...) car la presse n'est plus que "rouge" (Le Drapeau Rouge, La Sociale, L'Egalitaire,...). Quand le facteur arrive à 8 heures, c'est pour donner des feuilles d'imposition... La journée se poursuit, le bourgeois erre misérablement en butte à toutes les difficultés...
Mais dans les premiers jours d'avril 1926, une affichette est apposée partout dans Paris:
Un journal clandestin, La Voix des Bourgeois, défendant les bourgeois est donc lancé en même temps que la Confédération Générale des Bourgeois ! La CGT réagit mais le journal poursuit ses activités.
La Confédération Générale des Bourgeois passe à l'action en lançant le 20 avril 1926 un appel à la grève!
Et la grève commence le... 1er mai après des manifestations dans les rues. Tout le monde manifeste, les avocats évidemment mais même les membres de l'Académie française s'y mettent et arrêtent de travailler au dictionnaire.
Le lexique attendra, le mouvement s'étend rapidement. La CGT laisse faire, jouant le pourrissement. Le pays souffre pourtant du mouvement. Les Bourgeoises élégantes refusent de commander de nouvelles robes. La situation empire. la CGT ne renonce pas, proclamant: "Marchez quand même, nous pouvons nous passer des bourgeois!". Mais les accidents se multiplient: collisions de trains, effondrements dans les mines, épidémies, ...
Au bout de quinze jours, le gouvernement cède. Prolétaires et bourgeois signent la paix: "ces deux grandes forces comprirent qu'elles devaient s'équilibrer, c'est à dire se concerter, collaborer".
Quelques mots pour conclure: Vautel écrit dans Je sais tout qui n'est pas une publication des plus progressistes. Il défend bien sûr une certaine idée de l'ordre. Amusant de constater que les "bourgeois" de la nouvelle sont les classes moyennes, que ces classes moyennes ont des domestiques et sont donc éloignées par leur statut social des prolétaires. Un siècle après, ce n'est plus tout à fait le cas.
Cette nouvelle, comme beaucoup d'autres textes de Je sais tout, possède un charme désuet et l'anticipation fantaisiste de Vautel est marquée par l'idéologie de son époque.
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