Le 28 septembre, le blog de Gallica annonçait la mise à disposition de numéros de La Science illustrée un hebdomadaire de vulgarisation scientifique créé en 1875. Un message personnel de l'équipe de Gallica (ben oui, l'équipe de Gallica m'envoie des messages :-) ) m'a orienté vers cette publication avec ce tweet:
Il faut dire que, sur le blog de Gallica, on trouve cette belle image annonçant la publication du roman scientifique Les Secrets de Monsieur Synthèse de Louis Boussenard. Ce ne pouvait qu'être un double appel à ma curiosité.
La recherche dans les périodiques est fastidieuse. Quelques ouvrages de références mentionnent bien tel ou tel conte, nouvelle, anticipation ou roman mais tant reste à découvrir... Citons une nouvelle fois le travail de fourmi conduit par Jean-Luc Boutel sur son blog Sur l'Autre face du monde (avec notamment une partie "En feuilletant les revues", les contributeurs du forum BDFI notamment pour la partie Imaginaire ancien, le site Gloubik sciences qui propose des articles extraits de revues scientifiques anciennes (dont quelques fictions), ajoutons des revues comme Le Rocambole ou le Visage Vert (et nous sommes loin d'être exhaustif). Malgré tout cela, nombre de textes dignes d'intérêt restent quasi-inconnus.
A l'invitation de Gallica, j'ai donc commencé à parcourir méthodiquement les périodiques mentionnés dans l'article et me suis penché sur la Science Populaire (en partant de la fin). En voici un premier extrait qui tient plus de la vulgarisation que de la véritable fiction mais qui ne méprise pas la poésie scientifique (1).
Je reviendrai prochainement sur La Science Illustrée qui contient des romans, contes et nouvelles scientifiques.
Je reviendrai prochainement sur La Science Illustrée qui contient des romans, contes et nouvelles scientifiques.
Le texte qui suit est-il de la science fiction? Si l'on se réfère aux oeuvres de l'âge d'or américain, assurément non. Si on se place du côté de l'héritage vernien qui veut transmettre des connaissances sous le plaisant masque de la fiction, alors oui... un peu... Il y a quelque chose de ce "merveilleux scientifique" dans cette courte fiction qui admet une sorte d'instinct animal proche de l'humanité face à des comportements d'humains bien peu... humains. Nous ne trancherons pas ce débat (même si pour moi ce ne peut être de la science fiction, plutôt un conte d'inspiration scientifique) et nous plongerons dans ce charmant texte d'A. Larbalétrier publié dans La Science Populaire n° 153 daté du 18 janvier 1888.
FANTAISIE ENTOMOLOGIQUE
L'enterrement d'une taupe
« .... la nature est éternellement jeune,
belle et généreuse.
Elle verse la poésie et la
beauté à tous les êtres,
à toutes les plantes
qu'on laisse
s'y développer à souhait.
Elle possède le
secret du bonheur et
nul n'a su le lui ravir. »
G. SAND.
C'était au mois d'avril, le soleil se jouant dans les branches semblait embraser de ses feux la forêt tout entière. Non loin de celle-ci, dans une vaste prairie, s'étalait un tapis de verdure dont l'uniformité n'était guère interrompue de distance en distance que par l'éclatante blancheur d'une marguerite ou la sombre tache d'une taupière fraîchement remuée; car le printemps avait agi sur tous les êtres, animaux et végétaux revenaient à la vie et lentement s'acheminaient à la recherche de cet inconnu qu'on appelle le bonheur. L'homme seul semblait y mettre entrave ; seul le Roi de la Création n'avait pas compris ce sentiment si noble de la nature en fête.
Un paysan avait passé dans la prairie et, sacrifiant tout à ses intérêts, il avait ravagé bon nombre de taupinières, donnant ainsi raison aux beaux vers de Musset :
Quand le paysan sème et qu'il creuse la terre
Il ne voit que son grain, ses boeufs et son sillon.
Rien n'avait pu toucher le coeur du bourreau, les pauvres taupes gisaient là : inertes, la taupe est si nuisible!... et l'argent est si bon, pour l'homme sans coeur qui lui sacrifie tout., jusqu'à son amour. Car maintenant, ce sentiment même disparaît devant l'idée d'une... dot; comme le dit J. Sandeau : « l'amour qui autrefois enfantait des prodiges, acquitte aujourd'hui des factures. »
Près de la lisière du bois, une taupinière présentait aux rayons dorés du soleil, le corps mutilé d'une jeune taupe que la mort avait dévorée au sortir du berceau. Pauvre bête ! un instrument meurtrier, invention des humains, lui avait brisé la tête. Autour du petit cadavre bourdonnait une foule d'insectes aux formes et aux couleurs variées, tous avides des restes de l'infortuné mammifère.
Bientôt se détacha de la nuée un groupe de gros scarabées qui se précipita sur la morte comme pour en prendre possession à titre exclusif. En effet, peu de temps après, les autres insectes s'éloignèrent. Ces scarabées, amis de la mort, m'intéressaient au plus haut point ; n'ayant rien d'autre à faire ce jour-là, je m'asseyai près de la taupinière, et j'observai ce petit monde à la fois si terrible et si beau.
Comme je le vis plus tard, ces petites bêtes ne venaient ni pour aider ni pour consommer le meurtre de l'homme, leur rôle était plus noble, ils venaient ensevelir la victime. Les voyant à l'oeuvre, j'eus presque honte d'appartenir à l'humanité, car, en enterrant le cadavre de la taupe, les insectes préservaient l'homme de maux terribles, qui, d'ailleurs,n'auraient été que le juste châtiment de sa cruauté. Peut-être me taxerez-vous d'exagération et de fanatisme, pour un zoologiste surtout, mais que voulez-vous, les uns sont trop sensibles, les autres pas assez. Le monde est ainsi fait. Dans les insectes précédemment cités, j'avais aisément reconnu les lugubres nécrophores, coléoptères pentanières aux formes étranges, longs d'environ deux centimètres. Les yeux gros et saillants, le corselet arrondi et robuste, les elytres cornées ou plutôt trapézoïdales rayées de deux bandes orangées, donnaient à ces lugubres croque-morts un aspect singulier. Leur vol était rapide et ils dégageaient une forte odeur musquée qui, paraît-il, leur sert à s'attirer entre eux pour assurer la .conservation de l'espèce.
Ces coléoptères ont de tout temps attiré l'attention des observateurs, et à juste titre. Bon nombre de descriptions plus ou moins longues ont été publiées sur leur organisation, leurs moeurs, etc., mais personne jusqu'ici à mon avis du moins, ne les a mieux caractérisés que Michelet.
« La nature, dit-il, à qui ils sont si utiles, les a traités en véritables favoris, les honorant de beaux habits et les rendant industrieux, ingénieux dans leurs fonctions. Chose remarquable, avec ce métier sinistre, loin d'être farouches, ils sont remarquablement sociables au besoin. »
Ces insectes, au nombre d'une douzaine environ, après avoir longuement examiné et contemplé le cadavre de la taupe, comme pour en estimer le poids et le volume, se glissèrent en dessous et bientôt disparurent à mes yeux. J'étais fort intrigué car le sol, en cet endroit, légèrement rocailleux, devait être peu favorable à un enfouissement ; mais ceci n'arrêta pas les petits travailleurs. Au bout de quelques instants je vis le corps de la taupe se mouvoir lentement, soulevé par les robustes insectes. La taupe parcourut ainsi quelques centimètres, après quoi les porteurs s'arrêtèrent sur une partie meuble.
Les nécrophores reparurent bientôt, et de nouveau examinèrent le cadavre. J'attendais anxieux et fasciné ; en ce moment l'amour de la nature dominait tout mon être, j'étais séparé du reste de la terre et mon âme tout entière avait passé dans le corps de ces insectes. Un petit bruit qui se fit entendre derrière moi, me fit revenir à la réalité, je me retournai et vis une charmante petite fille d'une dizaine d'années, compagne habituelle de mes promenades scientifiques et qui, dans son ignorance naïve, ne pouvait comprendre ma ténacité à contempler le cadavre d'une taupe.
J'étais bien aise de pouvoir montrer cet intéressant tableau à une enfant de cet âge, car c'est toujours un spectacle édifiant que celui des merveilles de la nature. La petite ayant examiné le corps meurtri de la taupe, son bon coeur se révéla tout de suite à moi, car une larme, une grosse larme d'enfant coula sur sa joue ; sacrifiant ses jeux enfantins, elle resta près de moi haletante, le cou tendu, les yeux flamboyants suivant avec intérêt tous les mouvements des petits nécrophores. De temps à autre, une larme ruisselait dans ses beaux yeux. C'était déjà un tendre coeur de jeune fille qui se révélait dans cette charmante enfant.
Nous vîmes bientôt la taupe s'enfoncer peu à peu dans la terre que les insectes infatigables continuèrent à miner et à creuser en dessous.
Le petit cadavre ne tardait pas à disparaître entièrement et nous quittions alors cet endroit charmant, plaignant la pauvre taupe et admirant l'intelligence des lugubres nécrophores.
A. LARBALÉTRIER.
(1) la citation en exergue devrait parler à certaines... ;-)