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ISSN 2496-9346

samedi 2 janvier 2021

René Hervouin, Le Cinématographe en l'an 2021 (1921)

Le 1er avril 1921, Comoedia publie une anticipation signée René Hervouin qui imagine le cinématographe en 2021. 

Le cinéma est désormais partout et tout le temps. Il y a quelques traits qui ressemblent fort à notre époque comme l'information en continu ou le "Filus". 




Le Cinématographe en l'an 2021


Nous sommes en l'an 2021. Que de changements, de transformations et d'étonnements.

L'électricité, lies rayons double Z, les ondes hertziennes sont les grandes fées du moment.

Tout a considérablement évolué et l'aveugle du Pont des Arts se rend maintenant « à son travail » dans une magnifique torpédo, mode désuet de locomotion, à côté de l'aéro-torpille-électrique qui a détrôné définitivement l'avion ordinaire au coefficient de sécurité trop infime désormais.

L'éclairage de nos grandes artères s'est heureusement modifié. Plus de lampadaires encombrants et dangereux, plus de becs de gaz clignotants. Des tubes de mercure courent le long des maisons, grimpent jusqu'aux étages supérieurs, s'accrochent aux lignes sobres de la nouvelle architecture, serpentent sur les terrasses, inondant d'une aveuglante lumière les rues et les édifices.

Tout a subi une modification profonde. Le cinéma a presque remplacé l'imprimerie. Il n'est plus dédaigné comme il y a cent ans. Aujourd'hui, il est assimilé au théâtre, ses taxes sont infimes, celles-ci étant supportées par les étrangers, les tripots et le Pari Mutuel

Le Théâtre lui fait bon accueil, car il est intimement lié à sa mise en scène qui a ainsi gagné en réalisme.

Il a aussi presque supplanté l'affiche, remplacée par l'affiche-animée qui instruit et renseigne à la fois.

Une maison française de couture a même eu l’idée de faire paver son hall de dalles en verre dépoli sur lesquelles elle projette son catalogue animé où défilent ses dernières créations..

La presse d'information a réduit son tirage, mais elle utilise le film d'une façon aussi ingénieuse qu'inattendue.

Devant les grands quotidiens, les derniers événements du monde entier se déroulent sur un gigantesque écran. La télé-cinématographie sans fil, T. C. S. F., réalisée depuis quelques années, permet de projeter sur les Boulevards une Revue d'escadre se déroulant dans le Pacifique, par exemple, ou telle autre information que réclament les exigences de l'actualité.

L'industrie du Film a changé complètement d'aspect. Les grands Palaces sont en nombre restreint, Le Cinéma Chez Soi dispensant désormais de tous déplacements ennuyeux. Tout appartement « moderne », en plus du téléphone, est pourvu d'un petit cinéma. Pour une somme infime, on s'abonne au Filus, qui fournit les programmes les plus variés que vous puissiez imaginer. Depuis le « dernier Prix Goncourt filmé », en passant par tous les chefs-d'œuvre de la littérature française et étrangère, jusqu'aux dernières découvertes médicales sur la greffe du cerveau, vous n'avez que l'embarras du choix.

Le Cinéma scolaire est dans son plein développement. Depuis la modeste école de nos villages, jusqu'à nos universités, aucune leçon d'histoire, de géographie, de botanique et même de philosophie n'a lieu sans le concours .du film approprié. La Préfecture de Police elle-même possède en plus des fiches Bertillon et des photographies, un film de dix mètres sur tous les repris de justice, facilitant ainsi d'une façon appréciable les interminables recherches presque toujours infructueuses.

L'Etat subventionne et contrôle « Le Musée de l'Histoire », où sont conservés tous les films rejetant les divers événements intéressant la Nation. Un département, dénommé « Biographie-service », adjoint à ce musée, constitue les biographies filmées des grands hommes de l'époque, réunissant ainsi la plus vivante galerie de célébrités qu'on puisse souhaiter.

S'inspirant de cette heureuse initiative, beaucoup de familles ont ce que l’on appelle le « Film-Souvenir », qui retrace et fait revivre les divers événements heureux : fiançailles, mariages, naissances, enfants, petits-enfants, et rien n'est plus charmant que cette douce évocation du passé.

Les Compagnies de chemins de fer et surtout les grandes Compagnies transaériennes font une formidable publicité par le film, vantant la beauté de nos sites ou démontrant, à l'aide de vivantes images, que rien n'est plus beau et plus grandiose qu'un panorama d'Athènes ou de la Ville Eternelle, vu à différentes altitudes, noyé dans les feux mourants d'un crépuscule féerique.

La cinématographie des couleurs est maintenant chose courante, et les industriels l'emploient a une façon fort ingénieuse. Au lieu d'envoyer un représentant, un film-catalogue, est expédié aux intéressés, qui sont ainsi renseignés très exactement.

Certains esprits hardis, ont même créé des agences matrimoniales, où, après choix sur un catalogue illustré, vous pouvez « visionner » le n° 3.624 de la série II. Si le sujet vous plaît, le nom vous est immédiatement communiqué, et, quelques jours après, le mariage est célébré.

Mais c'est dans la publicité et l'information que le cinéma a pris une importance énorme.

Depuis 2019 seulement, un inventeur français a trouvé le moyen de projeter sur des nuages artificiels les réclames les plus variées

Un grand journal d'information, Le Lux, s'est aussitôt assuré l'exclusivité de cette invention pour vingt ans, et projette ainsi chaque soir les dernières nouvelles illustrées du monde entier Rien n’est plus féerique et plus impressionnant que de voir fulgurer ces mots en plein ciel : « Attention ! « Le Lux » donne ses derniers cinés-radios ! »

Les dépêches se succèdent alors, coupées par des vues animées aussi sensationnelles qu'inédites. Et de tous les aéros, des hélicoptères, des captifs-observatoires - dies douanes, des boulevards, des terrasses, des millions de gens lisent ainsi leur journal, dans l'attente de l'édition matinale qui leur donnera tous les détails que leur curiosité peut exiger.

Dans les studios qui se chiffrent par milliers, des compagnies d'artistes, largement rétribués tournent sans arrêt. La pellicule ne coûte que 8 centimes le mètre et bientôt eIle sera à cinq.

Les films de propagande française sillonnent le monde. Le dernier village nègre possède sa salle de projection. Le cinéma triomphe partout, c'est le rayonnant flambeau qui dissipe les dernières ténèbres de l'ignorance et fait de l'An 2021, celui du Progrès, de la Science et de la Lumière.

Gloire au Cinéma !


René Hervouin, "Le cinématographe en l'an 2021", 

in Comoedia, n° 3028, 1er avril 1921



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