En 1897, la reine Victoria fêtait un jubilé de diamant (le 22 juin). L'actualité nous apprend que la durée de règne de la "grand-mère" de l'Europe est désormais dépassée par celle de son arrière-arrière-petite-fille Elisabeth II.
Au moment du jubilé de 1897, Alphonse Allais alertait les autorités sur la disparition prochaine du Royaume Uni (la perfide Albion) à travers trois articles humoristiques publiés dans Le Journal.
Finis Britanniae
Notre vieille
camarade l'Angleterre n'a pas eu une bonne presse, ces temps-ci.
L'insolence
paradeuse de son jubilé lui aliéna une grande partie de l'Europe et
les principaux organes des grandes nations ne le lui envoyèrent pas
dire.
Dans ce concert de
malédictions, nos confrères allemands se distinguèrent
particulièrement et ne se gênèrent pas pour blaguer le colosse
britannique, colosse, disaient-ils, en baudruche soufflée qu'une
épingle prochaine suffirait à dégonfler.
Nos confrères
allemands ne savaient pas dire si vrai ; leur prophétie est à la
veille de se réaliser.
Nous avons, en
effet, le plaisir d'être les premiers dans la presse à annoncer
l'imminente disparition de l'Angleterre.
Il fallait s'y
attendre, d'ailleurs, et depuis longtemps les savants prévoyaient
cet événement sensationnel.
« Les temps sont
proches ! » disaient-ils.
- L'heure est venue.
L'Angleterre, vidée
de sa houille, creusée au plus creux de ses sous-sols, délestée de
ses minerais de fer, l'Angleterre est arrivée à un tel point
d'allégement qu'elle flotte.
Depuis avant-hier, L'ANGLETERRE FLOTTE !
Certes, elle ne
flotte pas à la crête des flots comme un vieux bouchon de Champagne
(I) mais elle flotte…
A l'Observatoire de
Greenwich, où je me trouvais jeudi dernier, tout le monde était en
proie à la plus vive inquiétude.
L'honorable Sir Loin
of Wildhog, un des astronomes les plus réputés de l'établissement,
ne m'a pas caché son angoisse.
— Nous ne
constatons pas encore de ballottement bien sensible, mais nous avons
relevé, ce matin, un déplacement de l'île vers l'Ouest d'environ
un demi-degré.
— Diable !
fis-je.
— En continuant
notre route à cette allure, nous serons sur les côtes d'Amérique
avant la fin de l'année, à moins que...
— A moins que ?…
— A moins qu'un
dénouement plus tragique ne survienne.
En disant ces
paroles, le vieil astronome prit un ton dont la gravité frisait le
fatidique…
— God save the
Queen! fis-je en serrant la rude main tannée du savant
grand-seigneur.
Et Sir Loin of
Wildhog ne put se défendre d'une larme qui — je ne m'en cache pas
— trouva dans mon cœur un sympathique écho.
Alphonse Allais, "Finis Britanniae", in Le Journal, 5 septembre 1897.
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